• 02. La Révolution spartakiste en Allemagne (26/11/09)

     

    «La paix générale ne saurait être atteinte sans le renversement de la puissance dirigeante en Allemagne. Seul le flambeau de la révolution, seule la lutte de masse ouverte pour le pouvoir politique, pour la domination du peuple et la république en Allemagne permettra d'empêcher le retour de flamme du génocide et le triomphe des annexionnistes allemands à l'Est et à l'Ouest. Les ouvriers allemands sont appelés maintenant à porter d'Est en Ouest le message de la révolution et de la paix. Faire la fine bouche ne sert à rien, il faut y aller.» Par le moyen de ces phrases, Rosa Luxemburg, non seulement militante, mais aussi une théoricienne marxiste allemande qui était encouragée par la révolution bolchévique en Russie et effrayée par les horreurs de la Première Guerre mondiale, a tenté de concentrer le mécontentement grandissant du peuple allemand en impliquant une révolution à l’exemple des événements en Russie. Dans ses écrits politiques, rédigés à travers les années 1917 et 1918, appelés les «Spartakusbriefe» en allemand, les lettres spartakistes, Rosa Luxembourg, sur laquelle est basée l’idéologie marxiste du luxembourgisme, a essayé d’une manière désespérée de réaliser ses rêves d’une Allemagne qui aurait les capacités de changer et de renaître, malgré le fait qu’elle a réalisé dans ces mêmes œuvres que la volonté d’ «établir une dictature prolétarienne et accomplir un bouleversement socialiste dans un seul pays, encerclé par l'hégémonie sclérosée de la réaction impérialiste et assailli par une guerre mondiale, la plus sanglante de l'histoire humaine, c'est la quadrature du cercle.» Karl Liebknecht a partagé ces rêves et rédigé dans un pamphlet du groupe «L’Internationale» lors des dernières heures de la Première Guerre mondiale : «Travailleurs et soldats ! Votre heure est enfin arrivée. Après une longue tolérance et des journées tranquilles, vous êtes finalement passés à l’action. Rien n’est dit de trop : Dans ces heures présentes, le monde vous regarde et vous tenez le destin du monde dans vos mains.» Ce travail de session analysera les idéaux et les vies de Rosa Luxemburg et son camarade Karl Liebknecht et leur réalisations ou échecs par rapport à ce sujet, tout en prenant en conscience le contexte politique, surtout la structure politique allemande, ainsi que le déroulement de la Première Guerre mondiale et la Révolution russe de 1917. Par la suite, je vais tenter d’analyser la Révolution allemande de novembre 1918, les causes de son échec, l’assassinat de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, leur héritage et le développement politique en Allemagne suite à cette révolution.

    Afin de mieux comprendre les événements qui ont mené à la révolution prolétaire en Allemagne, il faut d’abord jeter un coup d’œil sur la biographie de leurs deux organisateurs principaux, soit Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg, avant la révolution prolétaire.

    Karl Liebknecht, né le 13 août 1873 à Leipzig, était déjà politiquement influencé durant son enfance. Son père Wilhelm Liebknecht était un gauchiste et co-fondateur du Parti social-démocrate d’Allemagne, qui était à cette époque très proche de l’idéologie marxiste. Il est remarquable que les deux parrains lors du baptême du jeune Karl Liebknecht fussent Karl Marx et Friedrich Engels. Après la fin des études et son doctorat, Liebknecht travaillait comme avocat et défendait ainsi des membres du parti de son père avant de devenir soi-même membre en 1900. C’est au sein de ce parti que Liebknecht a plus tard fait la connaissance de Rosa Luxemburg. En 1907, Liebknecht a rédigé son œuvre «Militarisme et antimilitarisme», dans lequel il critiquait précisément Karl von Einem, le futur commandant de la troisième armée allemande durant la Première Guerre mondiale et le ministère de la guerre de L’Empire allemand pour ses citations en faveur de soldats loyaux et brutaux qui s’opposent d’après Liebknecht contre la constitution allemande. Pour cette partie de son œuvre, Liebknecht était accusé de haute trahison et emprisonné pendant un an et demi. Malgré ces obstacles, Liebknecht poursuivait sa carrière politique après sa libération et il s’est clairement prononcé contre le soutient financier de la guerre. Par contre, son propre parti s’est enfin décidé de soutenir Guillaume II et son armement contre son vœu afin de garder son influence politique difficilement établi dans la monarchie allemande et ne pour pas provoquer les dirigeants politiques principaux. Lorsque Liebknecht répétait ses exigences, on l’obligeait, malgré son immunité politique, de partir pour la guerre et de combattre les Alliés sur le front ouest et est de l’Allemagne. Avant son départ, Liebknecht avait encore réussi d’adhérer au «Gruppe Internationale» avec Rosa Luxemburg en essayant de faire de la propagande contre la guerre et en communiquant aux autres partis gauchistes de l’Europe que ce n’étaient pas tous les sociaux-démocrates allemands qui étaient en faveur de la guerre. Après son retour de la bataille, Liebknecht décidait de poursuivre son combat contre le financement de la guerre et le Parti social-démocrate d’Allemagne se sentait finalement obligé de l’exclure du parti, ainsi que ceux qui étaient d’accord avec son idéologie. Liebknecht organisait donc des manifestations fréquentes contre la guerre, condamnait aussi le génocide arménien commis par l’empire ottoman, allié avec l’Empire allemand, faisait appel au moyen de la grève auprès des travailleurs et se faisait ainsi arrêter en mai 1916 par les forces allemandes qui le condamnaient encore de haute trahison et qui décidaient de l’enfermer dans un pénitencier pendant quatre ans et un mois. Après sa libération du pénitencier vers la fin de la guerre, Liebknecht est retourné à Berlin en octobre 1918 et organisait la Ligue spartakiste avec Rosa Luxemburg pour mettre enfin un terme à la monarchie allemande.

    Rosa Luxemburg, né au Royaume du Congrès le 5 mars 1871, une entité politique polonaise depuis le Congrès de Vienne en 1815 qui avait subi une russification lors de l’occupation russe durant la naissance de Rosa Luxemburg, s’est aussi engagée très tôt dans la politique en s’engageant dans le parti des travailleurs polonais «Prolétariat» à Varsovie à partir de 1886. Le parti, qui avait fréquemment utilisé le moyen de la grève comme manifestation, avait été violemment dissous par le gouvernement polonais en tuant quatre membres principaux, mais Rosa Luxemburg faisait partie d’une des conclaves du parti qui s’organisait en cachette depuis cet événement. Lorsque sa participation dans ce parti s’était dévoilée, Rosa Luxemburg s’enfuyait en Suisse, l’exil de plusieurs intellectuels gauchistes polonais et russes durant cette époque, notamment aussi Lénine. Rosa Luxemburg, autant que Karl Liebknecht, faisait un doctorat, mais continuait à s’impliquer politiquement en cofondant le Parti social-démocrate du royaume de Pologne pour former une alternative au Parti socialiste polonais qui voulait atteindre l’indépendance de la Pologne, un mouvement nationaliste que Luxemburg critiquait sévèrement en proclamant qu’une indépendance ne pourrait être atteinte qu’avec des révolutions en Autriche-Hongrie, Russie et dans l’Empire allemand et qui ne pourraient se réaliser grâce à un combat acharné contre les monarchies européennes et le capitalisme. Rosa Luxemburg s’est ensuite marié avec un Allemand pour obtenir la citoyenneté allemande et pour pouvoir adhérer au Parti social-démocrate d’Allemagne, qui avait la réputation d’être un des partis socialistes les mieux organisés en Europe. Au sein de ce parti, Rosa Luxemburg était vite devenu un porte-parole de l’aile d’extrême-gauche du parti. Elle avertissait la population et les membres du parti d’une future guerre et d’un écrasement probable de l’économie que l’on devrait éviter par le moyen d’une attitude antimilitariste, anticapitaliste et anti-impérialiste. En ce qui concerne ses prédictions qui datent de l’année 1899, on sait aujourd’hui que non seulement la guerre s’est enfin réalisée en 1914, mais aussi l’écrasement fatal de l’économie en 1929. Par contre, peu de membres du parti faisaient confiance aux estimations de Luxemburg, ce qui l’encourageait à devenir plus indépendante. Elle provoquait ainsi Guillaume II en disant en 1903 lors d’une conférence publique de son parti: «Cet homme, qui parle de la bonne existence assurée du travailleur allemand, ne sait rien du tout des vrais faits.» Pour cette phrase, Luxemburg se faisait accuser d’un crime de lèse-majesté et passait ensuite six semaines en prison. Une année plus tard, elle passait encore une fois deux mois en prison, car elle avait tenté de convaincre le parti socialiste du Royaume du Congrès de participer à la première Révolution russe en 1905. En 1907, Luxemburg faisait la connaissance de Lénine, car elle assistait à un congrès des sociaux-démocrates russes à Londres. Peu après, elle travaillait comme enseignante marxiste pour le social-démocrate d’Allemagne et faisait la connaissance de Friedrich Ebert, le futur président de la République de Weimar et un de ses futurs ennemis politiques. Elle continuait de travailler internationalement et rencontrait le socialiste français Jean Jaurès avec lequel elle réalisait un accord de solidarité qui disait que tous les partis des travailleurs en Europe s’obligeraient à manifester par le moyen d’une grève générale, si une guerre éclatait. En 1913, lorsqu’elle sentait qu’une guerre n’était plus évitable, Luxemburg s’adressait au peuple en disant dans un fameux discours proche de Francfort qui était plus tard publié dans son œuvre «Militarisme, guerre et classe ouvrière»: «Si l’on exige de nous que nous levons nos armes meurtrières contre nos confrères français ou d’autres confrères étrangers, alors nous déclarons: Non, nous ne le faisons pas!». Pour cette proclamation non-conforme au régime de Guillaume II, Rosa Luxemburg se faisait encore une fois emprisonner, cette fois durant un an. Avant cette époque, le Parti social-démocrate d’Allemagne refusa déjà les idées de Luxemburg et Liebknecht et soutenait le régime de Guillaume II. Luxemburg en était tellement désespérée qu’elle songeait longtemps à se suicider, surtout lorsque la Première Guerre Mondiale éclatait vraiment. Au lieu de faire cela, elle a fondé le «Gruppe Internationale», ce qui est plus tard devenu la Ligue spartakiste. Karl Liebknecht et elle devenaient alors des symboles pour la résistance allemande contre la guerre et la monarchie, malgré que Luxemburg soit entrée en prison en février 1915 et malgré que Liebknecht se fasse obliger de partir en guerre. Après la libération de Luxemburg, elle se faisait envoyer dans un pénitencier pendant deux ans et demi. Malgré cela, Luxemburg envoyait secrètement des lettres sous le pseudonyme de «Junius» en dehors de la prison pour garder son influence politique. Elle commentait ainsi la formation d’un Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne qui s’était séparé de son parti d’origine et qui s’est uni peu après avec la Ligue spartakiste. Par rapport au sujet de la Révolution d’Octobre, Luxemburg se montrait inquiète par rapport à la stratégie poursuivie par Lénine et craignait une dictature bolchévique. En lien avec cet événement, Rosa Luxemburg a prononcé une de ses phrases les plus connues : «La liberté est toujours la liberté de celui qui pense différemment.» Après sa libération en novembre 1918, Rosa Luxemburg est retournée à Berlin et s’est retrouvée en plein milieu du chaos de l’après-guerre et de plusieurs tentations révolutionnaires. Elle a donc rejoint Karl Liebknecht, qui avait été libéré quelques jours auparavant, pour réorganiser la Ligue spartakiste.

    Jusqu’ici, on peut constater que les cheminements des deux politiciens marxistes allemands sont très semblables et qu’il était donc logique qu’ils organisent l’un à côté de l’autre la révolution prolétaire en Allemagne. Ils ont été très tôt influencés par la politique et se sont vite inquiétés de la situation contemporaine en Europe qui favorisait le nationalisme, l’impérialisme et les tensions diplomatiques et militaires. Dans un Empire allemand dirigé par une monarchie très conservatrice et arriérée qui s’est développé de plus en plus vers une extrême-droite, vu que Guillaume II tenait à son idéologie de procurer «une place au soleil» à l’Empire allemand en agressant presque la totalité des puissances européennes avec ses tentations de colonisation, d’expansion et de réarmement, Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg pensaient que seulement un changement radical et courageux pourrait sauver la misère dans laquelle l’Allemagne s’était dirigée depuis l’abdication de Bismarck qui avait tenté à conserver la paix, l’équilibre des puissances et les traités bien élaborés avec les puissances européennes sauf le grand ennemi héréditaire, la France. Liebknecht et Luxemburg, deux jeunes personnes bien instruites, voulaient donc transformer le visage politique de l’Allemagne. Les forces conservatrices dirigeantes autour de Guillaume II avaient vite saisi que ces porte-paroles autant intelligents et décidés que remplis d’un élan juvénile pourraient être des facteurs perturbants et dangereux pour leur pouvoir. Les forces dirigeantes allemandes ont sans cesse tenté de censurer ou interdire les publications de Liebknecht et Luxemburg ou des les enlever par force de la scène politique, soit en les envoyant en prison ou même en pénitencier ou en envoyant Liebknecht par exemple à la guerre. Liebknecht et Luxemburg, qui avaient jusqu’à date essayé de convaincre la population par le moyen de leurs forces rhétoriques éprouvées dans des nombreux pamphlets, journaux ou discours politiques, n’avaient presque plus le choix de réaliser leurs idéaux par des moyens pacifiques après toutes les représailles vécues. Lorsque la monarchie autour de Guillaume II commençait à s’effondre et lorsque la Première Guerre mondiale s’approchait vers sa fin, les deux politiciens marxistes voulaient finalement profiter de la chance d’une Allemagne perturbée et peu organisée, alors aussi sans la présence de forces politiques qui pouvaient légalement empêcher leurs actions, afin de révolutionner l’Allemagne à l’exemple de la Russie, qui avait aussi longtemps souffert d’une situation très semblable, d’un régime tsariste monarchique répressif, mais qui avait enfin réussi à se libérer. C’est ainsi que Karl Liebknecht décidait de proclamer la «République socialiste libre d’Allemagne» le 9 novembre 1918, ce qui était un des points culminants de la révolution allemande de novembre 1918.

    Tanis que René Rémond décrit dans son œuvre «Le XXe siècle de 1914 à nos jours – Introduction à l’histoire de notre temps – 3» que «la minorité de gauche spartakiste, qui blâme le comportement des dirigeants sociaux-démocrates et entend s’aligner sur l’exemple donné par les bolcheviques, déclenche en janvier 1919 des journées révolutionnaires à Berlin», Jacques Lacoursière, Jean Provencher et Denis Vaugeois parlent dans leur œuvre «Canada – Québec 1534-2000» de «révolutions en Allemagne, en Autriche et en Turquie en novembre 1918». Cette théorie se défend avec le terme de la «Novemberrevolution» que les Allemands ont donné à ces événements, tandis qu’on parle seulement d’une «révolte» spartakiste en janvier 1919. D’autres historiens parlent par contre d’une révolution allemande qui débutait selon eux le 30 octobre 1918 avec la révolte des marins de Kiel, une ville stratégiquement positionnée dans le nord de l’Allemagne et sur la mer baltique, et finissait seulement le 11 août 1919, lors de la constitution de la République de Weimar, d’autres vont même plus loin en disant que la révolution aurait continué jusqu’en 1924. Je vais donc essayer de clarifier ces termes historiques en essayant de décrire les déroulements principaux à partir du 30 octobre 1918.

    La Révolution allemande avait selon moi déjà commencé loin avant le mois de novembre en 1918. Jean-Claude Barreau et Guillaume Bigot décrivent dans le livre «Toute l’histoire du monde – de la préhistoire à nos jours» qu’ «en 1917, il y eut, chez tous les belligérants, un fléchissement du moral».  Cela se comprend par la fausse promesse des belligérants d’une guerre courte qui se prolongeait de plus en plus et se transformait en une guerre de positions sans fin. En Allemagne, on manquait de tout durant les derniers mois de la Première Guerre mondiale, les conditions pour les soldats et ouvriers affamés et fatigués devenaient de plus en plus mauvaises. Cette attitude fatale était soutenue par les discours de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg ainsi que le nouveau Parti social-démocrate indépendant d’Allemagne, qui encourageaient les ouvriers allemands de se révolter par le moyen de la grève. Une première grève générale importante avait lieu le 28 janvier 1918, appelée le «Januarstreik» en Allemagne, durant laquelle un million d’ouvriers allemand exigeaient la «conclusion rapide d’une paix sans annexion», ainsi qu’une démocratisation des institutions. Après d’autres grèves à Berlin pendant trois jours en avril 1918, la Ligue spartakiste appelait ouvertement à la révolution et à la formation de conseils ouvriers le premier octobre 1918. Le 25 octobre, Otto Rühle, un autre membre de la Ligue spartakiste, appelait même à l’abdication de l’empereur et à la révolution socialiste. Lorsque la guerre ne se terminait toujours pas, les marins de Kiel refusaient d’appareiller sur deux navires de guerre le 30 octobre 1918 et l’expédition prévue ne pouvait pas avoir lieu.  Les quatre cents marins se faisaient alors arrêter et emprisonner le lendemain. Alors d’autres marins se solidarisaient avec les prisonniers et manifestaient contre leur emprisonnement. Le 5 novembre 1918, le drapeau rouge flottait sur la ville de Kiel, des grèves générales se répandaient dans d’autres villes allemandes et des conseils d’ouvriers et de soldats étaient formés dans les villes principales en Allemagne. C’est ainsi que les grèves et conseils devenaient plus organisés et se solidarisaient à travers le pays: c’est selon moi le début de la véritable révolution. Il s’ensuivait alors une des journées les plus importantes dans l’histoire allemande, le 9 novembre 1918. Le prince Maximilien de Bade a annoncé l’abdication de Guillaume II, malgré que celui-ci n’en avait pas donné l’ordre, a pris la décision de démissionner par la suite et transmis son poste de chancelier à Friedrich Ebert, membre du Parti social-démocrate d’Allemagne, aussi pour prévenir une prise de pouvoir par les mouvements gauchistes. Le Parti social-démocrate d’Allemagne s’est alors dépêché de faire proclamer la «République allemande» par Philipp Scheidemann vers 14 heures entre «la soupe et le dessert» comme celui-ci le décrivait lors des entrevues plus tard. Il disait par contre au peuple sur un balcon du palais du Reichstag : «Notre devoir est maintenant que notre victoire glorieuse (l’abdication des Hohenzollern), cette victoire totale du peuple allemand, ne se laisse pas salir et c’est la raison pour laquelle je vous en prie qu’aucune perturbation de cette sécurité n’aura lieu. Nous devrons être fiers de cette journée dans le futur. Rien ne doit exister que l’on pourrait nous reprocher plus tard.» Par contre, deux heures plus tard avait lieu une telle «perturbation», lorsque Karl Liebknecht a proclamé la «République socialiste libre d’Allemagne» au château de Berlin en faisant allusion à l’idéologie marxiste d’une révolution mondiale et progressive: «Nous devons concentrer toutes nos forces pour construire le gouvernement des ouvriers et des soldats et pour instaurer un nouvel ordre étatique du prolétariat, un ordre de paix, de bonheur et de liberté pour tous nos frères allemands et pour nos frères dans le monde entier. Nous leur tendons la main et les appelons à achever la révolution mondiale.» Suite à ces deux proclamations, les deux partis socialistes allemands ont formé la création d’un conseil de commissaires du peuple, composé de trois membres de chaque parti, mais la Ligue spartakiste a refusé de participer à une telle alliance qui ne pouvait pas réaliser leur idée d’une république socialiste libre. Suite à cette «Novemberrevolution», il y avait quelques semaines dans lesquelles la scène politique s’est plutôt concentrée sur l’armistice, les conséquences de la guerre et l’organisation d’élections générales pour 1918. Cette courte durée d’une politique de détente a été soudainement interrompue lors de la parution de plusieurs affiches à Berlin qui appelaient à tuer Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht vers la fin du mois de novembre 1918. Ces affiches faisaient l’objet d’attaques antisémites dans la presse de droite. Ces attaques antisémites se sont aggravées lorsque le chancelier Friedrich Ebert voulait éviter la formation du premier congrès national de tous les conseils des travailleurs et soldats allemands à Berlin et lorsqu’il faisait donc appel à plusieurs divisions militaires allemandes pour empêcher cette réunion et pour regagner le pouvoir de la capitale pour le 15 décembre 1918. Par contre, une de ces divisions attaquait une manifestation non armée des spartakistes le 6 décembre et faisait seize morts, ce que l’on peut aussi voir comme une tentative d’un putsch anti-bolchévique. Peu après, le régime des deux partis sociaux-démocrates, dont le Parti social-démocrate d’Allemagne avait plus de mandats et de votes, s’est officiellement déclaré contre une adaptation du système de conseils à la manière bolchévique le 19 décembre 1918.  Afin d’empêcher une révolution spartakiste, Friedrich Ebert est encore allé plus loin et a refusé de verser le salaire aux marins gauchistes de Kiel qui réagissaient en kidnappant Otto Wels, un membre plutôt conservateur du Parti social-démocrate d’Allemagne et en prenant la Chancellerie le 23 décembre 1918. Les forces armées du régime contre-attaquaient et tuaient et blessaient 68 personnes en remportant ce conflit que l’on appelle aujourd’hui «Noël sanglant».  Ces tensions montraient selon moi déjà le potentiel et aussi le résultat d’une future escalade entre les gauchistes allemands et les sociaux-démocrates modérés, soutenus par les anciens membres  conservateurs de la monarchie. Les désaccords entre les deux partis sociaux-démocrates, le SPD et l’USPD, augmentaient et Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg décidaient de former une nouvelle alternative autour de la Ligue spartakiste en formant le Parti communiste d’Allemagne vers la fin du mois de décembre. Le programme de ce parti avait presque entièrement été rédigé par Rosa Luxemburg, ce qui faisait d’elle une théoricienne marxiste de plus en plus importante. Lors d’une puissante manifestation, suite au renvoi d’Emil Eichhorn, chef de la police et membre de l’USPD par le Conseil des commissaires du peuple, la révolte de janvier ou encore la révolution spartakiste éclatait le 5 janvier 1919. Plusieurs grèves ont eu lieu, mais le nouveau Parti communiste d’Allemagne n’était pas décidé en ce qui concernait les démarches à suivre. Rosa Luxemburg voulait éviter une révolution sanglante et laisser le choix au peuple lors des prochaines élections, tandis que Karl Liebknecht voulait en finir avec les représailles  auprès des gauchistes allemands en défendant un renversement sanglant du gouvernement Ebert. Dans le journal «Vorwärts» du SPD, on déclarait le 8 janvier: «L’heure de la vengeance approche!». L’administration du parti avait engagé les Freikorps contre les spartakistes, formés en décembre 1918 et composés d’une milice paramilitaire contre-révolutionnaire et conservatrice. Suite à cette provocation, la Ligue spartakiste appelait ses membres à prendre les armes le 8 janvier 1919. Vu que les Freikorps possédaient encore les armes utilisées durant la Première Guerre mondiale, à laquelle les membres conservateurs avaient participé, ils avaient un avantage énorme face aux révolutionnaires spartakistes mal équipés. Pendant une semaine, des événements ressemblant à une guerre civile se déroulaient à Berlin et causaient non seulement la mort d’un bon nombre de gauchistes, mais aussi de plusieurs civils. Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg se sont fait capturer par les Freikorps le 15 janvier 1915 et se faisaient vite assassiner. Tandis qu’on laissait trainer le corps mort de Liebknecht, celui de Luxemburg était jeté dans un cours d’eau à proximité. La courte révolution spartakistes était finie.

    Il faut maintenant ses poser la question sur la suite de ces événements. Les mouvements anti-gauchistes continuaient encore longtemps en Allemagne. Les tueurs de Luxemburg et Liebknecht n’étaient pas honnêtement poursuivis et ne recevaient que de petites pénalisations en mai 1919. Suite à la mort des deux icones du mouvement gauchiste allemands, les ouvriers allemands se lamentaient et révoltaient encore jusqu’en mai 1919, ce qui signifie selon moi la fin définitive de la révolution allemande. D’autres tentations d’une révolution étaient violemment abattues par les Freikorps qui gagnaient de plus en plus de pouvoir. Durant les prochaines élections, le Parti communiste d’Allemagne était boycotté, le journal du parti interdit. Plusieurs membres de ce parti, de l’USPD et de l’ancienne Ligue spartakiste étaient arrêtés, emprisonnés et même tués, par exemple Kurt Eisner qui était tué par un jeune aristocrate ou Leo Jogiches qui était arrêté et assassiné en prison. Le mouvement gauchiste en Allemagne se faisait supprimer violemment en ne pouvait plus se relever. Il était de plus en plus remplacé par des tentatives de putschs de l’extrême-droite, par exemple le fameux putsch de la Brasserie par Adolf Hitler en 1923. La République de Weimar était établie à partir du 11 août 1919, mais la jeune et nouvelle démocratie allemande qui avait craint une révolution gauchiste devait bientôt faire face à une remontée d’antisémitisme et nationalisme et était d’avance condamnée à l’échec. Suite au Traité de Versailles et ses conséquences humiliantes pour l’Allemagne, la démocratie allemande se faisait critiquer de tous les côtés et était bouleversés par des changements d’assemblée fréquentes et une instabilité énorme. Mais les souffrances pour les gauchistes allemands n’étaient pas encore finies non plus. Malgré un certain rétablissement de leur influence au milieu des années 1920, les gauchistes allemands se faisaient poursuivre, emprisonner, enfermer dans des camps de concentration et assassiner autant que les juifs par le régime nazi à partir de 1933, une attitude qui était généralement acceptée et même soutenue par les aristocrates conservateurs et une bonne partie de la population. Même après la Deuxième Guerre mondiale, la nouvelle République fédérale d’Allemagne se prononçait clairement contre les mouvements gauchistes et craignait une révolution comme après la Première Guerre mondiale. Avec les révolutions européennes gauchistes en mai 1968 les jeunes étudiants et ouvriers se distançaient en Allemagne du passé national-socialiste de leurs parents, critiquaient les mouvements nationalistes, le capitalisme et la guerre du Viêt Nam et prenaient par le moyen des grèves et manifestations l’héritage de la révolution spartakiste. Ces événements menaient en Allemagne à la fondation du Fraction armée rouge qui est comparable avec le Front de libération du Québec en ce qui concerne l’inspiration socialiste et les procédures terroristes. Le groupe était principalement influencé par les régimes communistes en URSS et en Chine, ainsi que l’idéologie marxiste et le mouvement de guérilla cubain, rendu fameux par Dr. Ernesto « Che » Guevara. Autour des fondateurs d’Andreas Baader et sa petite amie Gudrun Ensslin, ainsi que la journaliste Ulrike Meinhof qui s’est joint au groupe qui était par la suite appelé la Bande à Baader ou encore le groupe Baader-Meinhof, le groupe attaquait au début surtout des maisons de presse anti-gauchistes, des institutions militaires américaines sur le sol allemand et assassinait plus tard par exemple le procureur général fédéral près la Cour fédérale Siegfried Buback, Hanns-Martin Schleyer, représentant du patronat allemand ou le représentant de la  «Deutsche Bank» Alfred Herrhausen en provoquant un total de 34 morts. Le gouvernement allemand avait condamné, poursuivi et emprisonné la plupart des membres. Il y avait trois générations du Fraction armée rouge qui s’est enfin officiellement dissous en 1998 en envoyant une déclaration qui cite vers la fin une fameuse citation que Rosa Luxemburg avait décrit la veille de son assassinat: «La révolution dit: J’étais, je suis et je serai!». Liebknecht et Luxemburg avaient également influencés avec leur idéologie les mouvements anarchistes en 1968, qui étaient à l’époque très proche des membres du Fraction armée rouge. Un des porte-paroles du mouvement anarchiste en Allemagne, Rudi Dutschke, se faisait également attaquer par un jeune conservateur allemand et mourait des conséquences de cet attentat après onze ans de souffrances. Rosa Luxemburg était également reconnue internationalement, la journée de sa mort était par exemple un jour férié dans la Yougoslavie sous Tito. Plusieurs instituts gauchistes étaient nommés d’après Liebknecht et Luxemburg et encore aujourd’hui, il y a une manifestation appelée la «Liebknecht-Luxemburg-Demonstration» qui se déroule chaque 15 janvier en Allemagne. Dans la République démocratique allemande, des fêtes en honneur des deux icones gauchistes étaient déjà organisées et popularisées. Jusqu’aujourd’hui, le Mouvement de libération des femmes, la jeunesse socialiste ou les membres de l’antimondialisation reconnaissent surtout le rôle de Rosa Luxemburg. Politiquement, le Parti communiste d’Allemagne est encore aujourd’hui influencé par l’idéologie de Luxemburg et de Liebknecht, ainsi que le nouveau parti allemand «Die Linke» («La Gauche») qui a rassemblé 11,9% lors des élections fédérales de 2009 en Allemagne. Le Parti social-démocrate d’Allemagne s’est distancé de sa doctrine gauchiste après la Deuxième Guerre mondiale et est aujourd’hui un parti du centre gauche, plutôt orienté vers le centre que vers la gauche. L’USPD n’existe déjà plus depuis la République de Weimar.

    En conclusion, on peut constater que le destin de Karl Liebknecht et Rosa Luxemburg représente l’attitude anti-gauchiste en Allemagne qui a eu lieu jusqu’après la Deuxième Guerre mondiale. Tandis que les forces conservatrices ou d’extrême-droite étaient historiquement toujours présentes et fortes en Allemagne, un groupe gauchiste n’a jamais eu le pouvoir en Allemagne. Jusqu’à la Deuxième Guerre mondiale, les gauchistes allemands étaient même condamnés, poursuivis et tués non seulement par l’extrême-droite, mais même par le régime social-démocrate d’Ebert. Par contre, les icones gauchistes allemandes étaient souvent plus appréciées à l’étranger. La révolution socialiste ou bolchévique d’après les idéaux de Karl Marx et Friedrich Engels s’est par exemple réalisée dans de nombreux pays, les actes de Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht étaient souvent bien appréciés à l’étranger aussi. La révolution spartakiste était finalement un échec énorme, car les adversaires de Luxemburg et Liebknecht, qui n’avaient pas réussi à empêcher les actions politiques et intellectuelles des deux, provoquaient finalement un affrontement militaire dont ils savaient qu’ils avaient tous les avantages de leur côté. Une réflexion intéressante pourrait être la question suivante: Qu’est-ce qui aurait pu se passer en Allemagne, si Liebknecht et Luxemburg avaient été couronnés de succès avec leur révolution? Est-ce qu’une Deuxième Guerre mondiale aurait pu être évitée? Est-ce qu’une République socialiste libre d’Allemagne se serait solidarisée avec l’URSS et serait devenu plus tard un poids important lors de la Guerre froide? Cela est une question difficile, car que Rosa Luxemburg s’était toujours prononcée contre une dictature bolchévique et en faveur de la démocratie et n’aurait donc pas voulu faire partie d’un tel affrontement de deux puissances. Mais il est évidemment certain que l’Allemagne n’avait pas de force après la Première Guerre mondiale à rester indépendant face à l’URSS ou des forces alliées. Je pense que ni une démocratie mal imposée par les Alliés, ni une dictature bolchévique sous Lénine et surtout Staline étaient la solution aux problèmes de l’Allemagne. L’Allemagne était par contre tellement affaiblie après la Première Guerre mondiale qu’elle était obligé de se soumettre à n’importe quel régime protecteur et recevait un homme décidé comme Hitler comme un grand sauveur. Avec une personnalité aussi marquante et structurée au sein du mouvement gauchiste, le destin de l’Allemagne aurait peut-être pu changer. Mais les conditions en faveur d’une révolution bolchévique n’étaient tout simplement pas données en Allemagne à l’époque. Pour en conclure, je pense certainement qu’une révolution gauchiste en Allemagne n’aurait jamais pu être victorieuse, car les forces conservatrices étaient toujours prédominantes dans ce pays.

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