• 4. Sur la haine de l’Occident: le conflit entre l’Orient et l’Occident (06/12/11)

     

    1.      Introduction

    Le présent travail traite le texte «Occidentalism» d’Ian Buruma et Avishai Margalit, publié en janvier 2002 dans le quarante-neuvième volume de «The New York Review of Books». Ian Buruma est un intellectuel européen né à la Haye aux Pays-Bas ayant étudié la littérature chinoise et le cinéma japonais. Avishai Margalit est à son tour un philosophe et universitaire israélien.

    Ce travail sera divisé en trois parties principales. La première traite le lien et même l’entrecroisement que les deux auteurs du texte font entre la haine de l’Occident et le problème de la décadence. Par la suite, ce travail cherche à analyser si les adversaires de l’Occident offrent un véritable modèle alternatif ou s’il ne s’agit que d’une simple critique négative. En troisième et dernière place, cet exposé décrit plus en profondeur le refus de quatre grands phénomènes ou facteurs distinctifs sur lesquels se base la haine de l’Occident. La conclusion finale cherche à comparer le modèle dit occidental avec le modèle antioccidental en amenant une ouverture traitant le développement de ces deux systèmes concurrents depuis la publication du document de base datant du début de la dernière décennie.

    2.      La haine de l’Occident et le problème de la décadence

    Les concepts de la théorie de l’Anti-Occidentalisme et le résultat du problème de la décadence s’entrecroisent à plusieurs moments selon les dires des auteurs Buruma et Avishai. Les extrémistes religieux et idéologiques comme Oussama ben Laden cherchent principalement à purger leur culture de toute influence occidentale. Les termes qu’un nombre respectable de ces personnalités associent à l’Occidentalisme sont parmi tant d’autres des concepts idéologiques comme le matérialisme, le libéralisme ou le capitalisme ainsi que la laxité morale et le terme vague de la décadence. Ces concepts devraient selon les théories antioccidentales, par exemple selon des théoriciens japonais durant la pré-époque et l’époque-même de la Deuxième Guerre mondiale, être défaits par des termes de force: à la base la force de la volonté, de l’esprit et de l’âme, mais plus loin également la force de frappe militaire. La dite décadence des sociétés occidentales est expliquée de manière scientifique et idéologique par la propagande japonaise: les différentes cultures occidentales se sont mélangées et ne sont plus pures ce qui mène selon la propagande à une confusion mentale et une corruption spirituelle.

    On peut donc voir le lien entre la haine de l’Occident et le problème de la décadence comme une conséquence et raison principale prônée à l’appui de la propagande antioccidentale. Il y a également une sorte de dualisme concurrentiel très biaisé à la base de ce lien. D’un côté, il y a un peuple pur, homogène, fidèle aux autorités, très encadré idéologiquement qui cherche à défendre radicalement son intégrité face à l’Occident. De l’autre côté, il y a l’Occident lui-même qui est hétérogène, individualiste, sans âme et très libertin.

    Il faut aussi définir plus clairement le terme de l’Occidentalisme. Pour certains, comme certaines colonies africaines ou les anciens ennemis héréditaires qui étaient les Allemands, le mal de l’Occidentalisme est représenté par la République française. Pour d’autres, c’est le capitalisme américain comme dans le cas de plusieurs peuples asiatiques. Encore pour d’autres, il s’agit du libéralisme anglais dans certaines colonies et dans les pays ayant des idéologies plus gauchistes. Pour d’autres encore, l’Occidentalisme n’est pas une idéologie attribuable à un pays ou régime en particulier, mais à une ethnie ou un peuple en particulier, par exemple les juifs cosmopolites et déracinés selon certains philosophes allemands. Pour d’autres, c’est encore plus vaste et l’Occidentalisme englobe tous ces éléments ou se définit par tous les adeptes de religions étrangères dans le cas des Islamistes. Le terme d’Occident peut donc être très vaste et diversifié, mais l’association de la décadence s’applique étrangement à tous ces cas sans beaucoup de différentiations.

    Voilà quelques définitions encore plus précises sur la décadence: le théoricien anglais Houston Stewart Chamberlain voit non seulement une menace, mais même une judaïsation des sociétés en France, Angleterre et aux États-Unis. Il critique que la citoyenneté est réduite à une valeur politique sans valeurs ni culture. Dans son propre pays, il donne également l’exemple de l’infiltration des peuples noirs obtenant la citoyenneté anglaise. Un autre exemple est la vision suivante: le philosophe allemand Oswald Spengler voit une menace dans toutes les ethnies visiblement étrangères et nomme le «péril jaune» qui asiatise la Russie et la culture africaine et afro-américaine en disant que «la musique de jazz et les danses des nègres sont la musique pour la marche de la mort d’une grande civilisation». Il va même plus loin dans l’exemple de la France qui est selon sa théorie xénophobe menacée par plusieurs cultures étrangères comme les «soldats noirs, les hommes d’affaires polonais et les fermiers espagnols». Pour d’autres, la décadence a un niveau religieux et les villes modernes et hétérogènes à l’exemple de l’Occident sont associées à la déchéance de Sodome et Gomorrhe ou à la tour de Babel. Cette image négative, cette haine de l’Occident a été créée vers le milieu et la fin du dix-neuvième siècle, mais elle existe encore à nos jours. Les cadres et les justifications ont changé pendant les deux siècles, mais le noyau de la décadence a persisté en toutes les théories.

    3.      La haine de l’Occident: critique négative ou modèle alternatif

    La prochaine partie cherche à distinguer si les adversaires de l’Occident ne font que des critiques négatives ou s’ils offrent une véritable alternative. Il y a des alternatives qui sont dominés par un dualisme assez étrange.

    D’un côté, on s’accroche aux valeurs du passé comme la descendance culturelle, la durée de l’histoire du peuple ou la composante spirituelle. Un bon exemple est la conviction d’un professeur japonais à l’Université de Tokyo qui prévoit en 1942 que le Japon sera victorieux sur le matérialisme anglo-américain car le Japon englobe la «culture spirituelle» de l’Est. La théorie raciale dans l’Allemagne nazie se base sur la pureté et prédominance biologique de la race aryenne. Ces valeurs sont souvent assez concrètes, même si ses justifications scientifiques sont douteuses.

    De l’autre côté, les adversaires de l’Occident s’accrochent beaucoup au futur. Ils font des spéculations en se basant sur la stabilité et la grandeur de leur culture dans le passé. La propagande nazie destinait par exemple le Troisième Reich à durer mille ans. Ces valeurs sont donc hautement utopiques et ne peuvent pas être un pilier pour une alternative crédible.

    Il y a aussi le côté abstrait dans les modèles antioccidentaux qui est également plutôt utopiste. Lors de la Deuxième Guerre mondiale par exemple, les Alliés se battaient au nom de la liberté et les Japonais au nom de la paix et de la «justice divine».

    Il est donc encore question de conviction et de propagande. Aux yeux d’un intellectuel occidental, les adversaires de l’Occident offrent des idéologies utopiques fondées sur des visions limitées qui ne sont pas de véritables alternatives. Mais le nombre élevé d’adeptes aux mouvements antioccidentaux depuis plus d’un siècle montrent que ceux-ci ne cessent pas de croire en ces concepts, théories et valeurs et voient en leurs manières de vivre et d’agir non seulement des alternatives réelles, mais bien les seules voies possibles et justifient à leur tour que les cultures et idéologies occidentales sont trop individualistes, hétérogènes et libertins pour persister.

    4.      Le refus de quatre grands phénomènes distinctifs sur lesquels se fonde la haine de l’Occident

    L’Occidentalisme est un ensemble d’images et d’idées pour ses adversaires dont quatre phénomènes principaux reviennent très fréquemment. Ce sont les facteurs de la ville, celui du bourgeois, celui de la raison et enfin celui du féminisme.

    En ce qui concerne le facteur de la ville, celle-ci est souvent associée aux images du commerce, des populations mixtes, de la liberté artistique, de la licence sexuelle, des recherches scientifiques, des loisirs, de la sécurité personnelle, du bien-être et du pouvoir. D’un point de vue religieux radical, les villes sont critiquées comme lieux du pêché, de la décadence sociale et de la mégalomanie. Ici encore, les exemples de Sodome et Gomorrhe et celui de la tour de Babel sont souvent cités. Pour les adversaires de l’Occident qui ne se fondent pas sur la religion, mais par exemple sur l’idéologie socialiste, la ville est un endroit stratégiquement difficile à contrôler et à surveiller qui porte les dangers de l’individualisation de la société autant que de regroupements antigouvernementaux et de rébellions. L’histoire leur donne raison car les villes ont souvent joués un rôle primordial dans la chute d’anciens systèmes politiques et religieux. Les différentes révolutions russes au début du vingtième siècle se sont faites dans les principales villes russes comme Moscou et Petrograd. Le mouvement de révoltes étudiantes de mai 1968 avait commencé à la Sorbonne de Paris. Le printemps arabe a été déclenché par l’immolation du marchand humilié Mohamed Bouazizi dans la petite ville tunisienne de Sidi Bouzid et les réunions de révolutionnaires se sont ensuite étendues aux villes principales qui cherchaient à contrôler ces points stratégiques au plus vite. C’est pour cela que les régimes antioccidentaux glorifient l’image de la vie et de la pureté rurale où ils peuvent mieux contrôler et diriger les masses.

    Le facteur du bourgeois est d’un côté critiqué par les adversaires de l’Occidentalisme car cette classe sociale très importante peut prendre beaucoup de pouvoir et influencer et bouleverser les régimes en place. Pour les Allemands nazis, les juifs prenaient la place des bourgeois et contrôlaient et corrompaient selon leur propagande l’économie mondiale à leur guise. Pour les pays socialistes, la bourgeoisie est l’ennemi principal qui essaie de se mêler des décisions étatiques tout en soumettant les ouvriers à leur cause. Pour les Talibans, les bourgeois vivant dans les villes principales ont plus facilement tendance à entrer en conflit avec leurs valeurs religieuses fondamentalement radicales. Ces bourgeois vont envoyer leurs filles à l’école et leur permettre de ne plus porter le voile et de rencontrer des étrangers. D’un autre côté, le bourgeois individualiste se souciant en premier lieu de sa propre sécurité n’a surtout pas de valeurs honorables selon les adversaires de l’Occident. Ceux-ci glorifient plutôt le sacrifice, par exemple dans le cas des jeunes kamikazes japonais courageux et héroïques qui ont su frapper Pearl Harbor et blesser l’adversaire américain.

    Le facteur de la raison est évidemment plus abstrait. Les adversaires de l’Occident s’opposent à l’idée juive que la science est internationale et que la raison est humaine. La théorie juive précise même que la raison humaine est le meilleur instrument de recherche scientifique. Pour les ennemis de l’Occident pourtant, la science comme chaque chose doit être pénétrée d’un idéal supérieur que ce soit un peuple entier dans le cas des Allemands sous la gouvernance nazie, que ce soit par un leader politique et spirituel en particulier dans le cas des dictatures s’opposant à la démocratie occidentale et prônant plutôt la démocratie populaire ou que ce soit encore une divinité ou figure religieuse importante comme Allah dans le cas des Islamistes.

    Enfin, le facteur non négligeable du féminisme est également largement attaqué par les adversaires de l’Occident. Pour le propagandiste nazi Alfred Rosenberg, l’émancipation des femmes du mouvement de l’émancipation des femmes est nécessaire pour que celles-ci puissent servir quelque chose de plus grand qui est le peuple allemand. Il souligne que l’émancipation des femmes mène à la décadence bourgeoisie. Cette thèse englobe donc deux autres termes qui sont souvent mentionnés par les mouvements antioccidentaux et on peut ici voir à quel point ces différents mouvements se ressemblent et ont une vision plutôt limitée dans laquelle tous les aspects négatifs sont mélangés des manières les plus curieuses. C’est un peu comme dans l’affiche de propagande nazie «Le Juif Éternel» où le juif est visuellement associé au socialisme et au capitalisme en même temps comme s’il s’agissait d’une trinité inséparable des trois éléments. Les Japonais allaient même plus loin et utilisaient les femmes de prisonniers étrangers comme prostituées dans des bordels pour garder leurs propres soldats de bonne humeur. Oussama ben Laden argumente de la même façon que l’Allemagne nazie et souligne que l’émancipation des femmes dépossède la pleine virilité des hommes qui devraient diriger le monde. Presque la totalité des mouvements antioccidentaux avaient donc en commun que les femmes occupaient une place dégradante dans leurs sociétés.

    5.      Conclusion

    Pour en conclure, il y a donc deux visions du monde profondément différentes. Il y a la vision dite occidentale qui prône la liberté individuelle, l’économie de marché libre et la démocratie réelle dans une société hétérogène et très libertine. La vision s’opposant à cette idéologie prône les vieilles valeurs et traditions dans lesquelles l’individu doit se soumettre à un idéal plus grand comme celui de la famille, de la race ou encore celui d’un leader politique ou spirituel dans une société homogène très encadrée. Les deux visions sont nées environ en même temps, par exemple lorsque Karl Marx répondait avec sa théorie du communisme au libéralisme anglais lors de la révolution industrielle. Depuis ce temps-là, les deux visions se sont légèrement modifiées selon les pays, régions et époques, mais elles sont toujours aussi présentes à nos jours. Le véritable dualisme idéologique dans le monde n’était donc pas l’Axe versus les Alliés, le socialisme versus le capitalisme ou le christianisme versus l’islamisme. Ces parties n’étaient que des parties de quelque chose de plus grand qui étaient les idéologies occidentale et antioccidentale.

    À nos jours, ces deux idéologies divisent encore le monde et malgré sa vision restrictive, il ne faut pas sous-estimer la haine de l’Occident à nos jours. Depuis le 11 septembre 2001, d’autres attentats ont suivi dans les métros de Londres et de Madrid. Malgré la chute de certains dictateurs qui étaient souvent même pro-occidentaux sous certaines réserves, les résultats du printemps arabe nous montrent encore aujourd’hui que beaucoup de pays comme la Tunisie préfèrent choisir la voie radicale de l’islamisme plutôt que de coopérer ou s’adapter à l’idéologie occidentale. Ce dualisme est la raison pour laquelle il y a encore beaucoup de poudrières dans le monde qui pourraient exploser n’importe quand que ce soit le conflit entre les pays arabes et l’Israël, que ce soit la résistance imprévue de la Corée du Nord qui garde son stalinisme vivant et fait toujours de la propagande agressive contre les agresseurs occidentaux potentiels vingt ans après la chute de l’Union Soviétique ou que ce soit le renouveau des gouvernements gauchistes en Amérique latine s’opposant à l’influence des États-Unis dans le Nord.

    D’un autre côté, il y a aussi des tendances positives en lien avec la mondialisation. Des régimes fermés comme la Chine communiste s’ouvrent jusqu’à un certain degré à l’Occidentalisme et beaucoup d’anciens ennemies de cette idéologie comme l’Allemagne nazie ou l’Empire du Japon ont changé de cap et jouent aujourd’hui des rôles primordiaux dans le camp des pays dits occidentaux.

    Après tout, ces tendances d’assimilation à l’Occidentalisme ou de dé-radicalisation des anciennes idéologies antioccidentales sont trop peu pour désamorcer le conflit toujours persistant entre les deux camps. Vu que les États-Unis connaissent véritablement un déclin, une «décadence» selon les propagandistes antioccidentaux, sur le plan social et surtout économique et vu que l’Europe subit également des difficultés économiques accentuées en ce moment, cela ne fera que motiver et justifier les mouvements antioccidentaux. Ainsi, ce dualisme s’affrontera et se radicalisera de nouveau car les deux côtés cherchent désespérément à survivre et vaincre l’autre partie.

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