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    Les États-Unis ont été la plus grande puissance économique, politique et sociale tout au long du vingtième siècle après que le dix-neuvième siècle avait encore été dominé par le vieux continent et tandis que le siècle présent risque d’être de plus en plus dominé par la Chine et d’autres pays en Asie qui font des progrès accélérés et énormes. Selon moi, une des causes majeures de la prédominance américaine étaient les deux guerres mondiales durant lesquels les Américains ont agi en tant que médiateurs, dominateurs et grands gagnants pendant que les pays européens se dévastaient entre eux. Je vais tenter d’affirmer ma thèse en donnant des exemples économiques, sociaux et politiques concrets à l’intérieur et à l’extérieur des États-Unis.

    En ce qui concerne la Première Guerre mondiale, les États-Unis ne sont intervenus qu’en 1917 suite à la déclaration de l’Empire allemand de mener une guerre sous-marine à outrance en attaquant les navires américains allant vers l’Europe et suite à l’interception par les services de renseignements britanniques d’un télégramme adressé par le ministre allemand des affaires étrangères à son ambassadeur mexicain qui parlait d’une alliance des deux pays pour déstabiliser les États-Unis en aidant le Mexique à reconquérir le Texas. Cette hésitation de la part de la présidence américaine de Woodrow Wilson s’explique par une politique d’isolationnisme qui fut d’ailleurs poursuivie après la guerre. Déstabilisée par la Guerre de Sécession et vivant une forte industrialisation et modernisation, les États-Unis cherchaient leur place dans le monde et tentaient plutôt de s’essayer dans l’impérialisme, mais cet interventionnisme avait connu des résultats peu satisfaisants suite à la révolte des patriotes aux Philippines et des conflits en Amérique centrale et latine. Les États-Unis, préoccupés de calmer diplomatiquement la situation en Amérique et de se tourner vers une conquête pacifique des marchés étrangers grâce à un système capitaliste et une nouvelle suprématie économique difficile à gérer, ne voulaient pas se mêler des conflits de plus en plus hostiles en Europe qui était bousculée de plusieurs mouvements indépendantistes et une politique d’alliances souvent peu stable. Lorsque les États-Unis furent humiliés par le télégramme et plusieurs centaines de navires capturés et coulés par la marine allemande, le pays rompit avec sa neutralité officielle et mit en marche une propagande de masse pour l’enrôlement dans la guerre, devenue fameuse grâce à l’image de l’Uncle Sam ainsi qu’une mobilisation économique et industrielle totale. La présence américaine en Europe fut courte et victorieuse, mais le Congrès et le président n’étaient pas d’accord sur les mesures à poursuivre après la fin du conflit. Wilson, qui rêvait d’une paix mondiale après tant de conflits et qui avait initié la création de la Société des Nations en voulant donner accès au rêve américain au vieux continent, fit face à une opposition vive au Congrès qui décida de ne pas ratifier le traité fondateur de la Société des Nations. Wilson perdit de plus en plus sa réputation aux États-Unis isolationnistes, quitta les conférences menant au Traité de Versailles et essaya en vain de convaincre son peuple de sa politique étrangère dans une campagne de discours dans les principales villes américaines, ce qui l’empêcha de s’impliquer davantage internationalement.

          Économiquement, les États-Unis avaient fait preuve d’avoir eu une bonne gestion de l’industrialisation qui avait permis au pays de se rétablir de sa guerre civile et d’être avantagé face à une Europe dévastée depuis plusieurs décennies par des petites guerres coûteuses. Cela se démontra dans la supériorité militaire et dans une mobilisation industrielle remarquable vers la fin de la guerre. L’économie américaine connut d’ailleurs une forte inflation et une prospérité économique considérable au fil des années 1920. Vu que la plupart des belligérants avaient même des dettes envers les États-Unis, ceux-ci gagnèrent de plus en plus de pouvoir et influence au niveau mondial de l’économie. Les productions et la réputation de New York surmonta dès la fin de la guerre largement les capitales européennes comme Londres, ancien moteur de l’époque industrielle. Cette ère de prospérité durera jusqu’à la Grande Dépression et ce krach boursier influença maintenant déjà l’économie mondiale et montra une certaine interdépendance mondiale et éprouva le statut central de l’économie américaine pour le monde.

                Politiquement, les idées démocratiques et pacifiques furent la base majeure pour l’établissement de la Société des Nations et pour une courte période de normalisation et de réconciliation officielle entre la France et l’Allemagne, ce qui se démontra par la distribution de deux prix Nobel de la paix consécutifs aux deux pays vers la moitié de la décennie. La plupart des vieilles monarchies européennes s’écroulèrent et s’adaptèrent tranquillement à un système plus démocratique à l’américaine. Ce n’est que l’isolationnisme politique qui empêcha les États-Unis de démontrer sa nouvelle superpuissance mondiale.

                Socialement, les États-Unis, malgré des problèmes internes avec des syndicalistes, anarchistes et grévistes au début de la nouvelle décennie, devinrent une sorte d’idole ou objectif à atteindre pour les pays européens. Le rêve américain et l’American Way of Life furent partagés par un bon nombre de citoyens européens.

                L’influence des États-Unis sur le monde et la montée à la superpuissance s’accélérèrent d’ailleurs encore durant et après la Deuxième Guerre mondiale. L’isolationnisme, la prospérité incontrôlée et les conditions du Traité de Versailles furent peut-être les seules erreurs majeures du pays, car la situation en Europe, nourrie par la jalousie envers la prospérité américaine, les sentiments de vengeances patriotiques et l’échec du capitalisme lors du krach boursier et de la démocratie en Allemagne, se détériora vers une politique extrémiste. Les États-Unis, cette fois-ci plus présents au niveau international, surtout après la Charte de l’Atlantique en 1941, lorsque le président Roosevelt promit «d’entreprendre de jeter les fondements d’une nouvelle politique internationale», s’impliquèrent dans l’organisation d’une paix et d’un équilibre mondial après la guerre. De l’organisation minutieuse du jour J jusqu’au lancement de deux bombes atomiques, les États-Unis jouaient un rôle déterminant dans la tournure de la guerre sur le front européen et asiatique qui marqua le monde entier.

                Économiquement, les États-Unis avaient pu initier un armement efficace grâce à un avantage financier, technologique et scientifique sur le reste du monde. Le résultat le plus marquant de cette dominance fut le fait que les États-Unis étaient le seul pays à avoir pu développer des bombes atomiques vers la fin de la guerre et l’emploi de celles-ci démontra la nouvelle détermination interventionniste du pays et une nouvelle confiance et estime de soi lorsque le pays envisagea le lancement des deux bombes en se permettant la liberté de ne pas consulter l’opinion publique ou de chercher l’accord des pays alliés. Aux États-Unis, la mobilisation de millions d’Américains pour la production de guerre avait sorti le pays de la Grande Dépression et avait permis le développement d’un mouvement féministe, car les femmes s’impliquèrent comme ouvrières dans les usines et d’un mouvement envers une nouvelle égalité des races aux États-Unis, vu que les Afro-Américains furent enrôlés comme soldats. Le «Fair Deal» tenta d’assurer dans la continuité du «New Deal» le plein-emploi, l’augmentation du salaire minimum, le soutien des tarifs agricoles et le renforcement de système de sécurité sociale. Sur le plan de la géographie économique, celle-ci fut bouleversée par l’implantation des industries aéronautiques et d’armement dans les états de l’Ouest et du Sud. Une forte urbanisation se développa suite à la guerre. Vu que le dollar américain resta relativement stable tout au long de la guerre, les États-Unis dominèrent tous les domaines économiques mondiaux et se permirent d’appliquer le «plan Marshall» en lien avec la «doctrine Truman» pour offrir de l’aide financière à l’Europe et surtout aux pays voulant s’opposer à la menace communiste de l’Union Soviétique, deuxième grand gagnant de la guerre et nouvelle superpuissance également.

                Politiquement, les États-Unis voulaient à tout prix éviter les erreurs commises après la Première Guerre mondiale et organiser la restructuration de l’Europe pour y garantir une époque de paix et de démocratie. L’isolationnisme fut aboli et la Charte des Nations unies symboliquement signée à San Francisco, acte fondateur de l’ONU. Au lieu de répéter l’erreur du Traité de Versailles de blâmer uniquement l’Allemagne pour le déclenchement de la guerre et d’exiger des réparations de guerre, on rejeta l’idée du «plan Morgenthau» des paiements en faveur du «plan Marshall» de l’aide financière de la part de la nouvelle superpuissance. En même temps, celle-ci se prépara à repousser le communisme en craignant en lui un nouveau potentiel de conflits mondiaux, ce qui se justifia au cours des prochaines décennies, mais surtout nourri par une nouvelle politique américaine interventionniste, préventive, conservatrice et agressive.

                Socialement, une exportation de culture, une américanisation se réalisa suite à la guerre, car les soldats américains exportèrent le cinéma d’Hollywood, le jazz et le rock ‘n’ roll, le blue jeans et la nouvelle fraîcheur du rêve américain symbolisée par  «l’American Way of Life». Le pays s’ouvrit à une nouvelle vague d’immigration et devint un centre intellectuel.

                En tout, l’implication des États-Unis dans les deux guerres mondiaux a bâti le chemin envers le développement d’une superpuissance économique et technologique. Influençant la future politique mondiale sur l’idéologie américaine, le pays créa un nouveau multiculturalisme menant plus tard à une mondialisation grandissante suite à la chute du bloc de l’est, le seul concurrent américain considérable. Les guerres n’ont pas seulement transformé les États-Unis, mais les guerres ont surtout permis aux États-Unis de changer le monde et de remplacer l’ancienne hégémonie européenne.

     

    Bibliographie

     

    1.      BARREAU, Jean-Claude et Guillaume Bigot (2005), «Toute l’histoire du monde – de la préhistoire à nos jours», Librairie Arthème Fayard, 416 pages

    2.      LAGELÉE, Guy et Gilles Manceron (1998), «La Conquête mondiale des droits de l’homme», Le Cherche Midi et Éditeur et l’Organisation des Nations unies pour l’éducation, la science et la culture, Paris, 537 pages

    3.      NOUAILHAT, Yves-Henri (2009), «Les États-Unis de 1917 à nos jours», les Éditions Armand Colin, Paris, 192 pages 

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    Le compte rendu critique traite l’ouvrage « Shawinigan Water and Power – 1898-1963 – Formation et déclin d’un groupe industriel du Québec » de Claude Bellavance, présenté à l’origine comme thèse de doctorat en 1991 et publié dès 1994 par les Éditions du Boréal situées à Montréal. À part d’une analyse détaillée du sujet autour de 300 pages, l’ouvrage contient une riche bibliographie, des appendices, un index et une liste de figures, tableaux et cartes. Je me suis particulièrement intéressé au sujet de l’ouvrage car j’ai suivi un cours de géographie économique à l’université et je me suis particulièrement intéressé à ce champ d’études depuis ce temps-là. Je voulais également savoir davantage sur l’impact des nombreux bouleversements tels que les deux guerres mondiales, le krach boursier et les précurseurs de la Révolution tranquille du Québec qui est selon moi une époque charnière dans l’histoire récente de la province sur l’économie au Québec. Je vais diviser mon travail en deux grandes parties en parlant premièrement des informations de base en lien avec l’ouvrage choisi avant d’aborder un résumé détaillé. Par la suite, je vais tenter de faire une critique de l’ouvrage en évaluant les éléments positifs et négatifs et finir mon travail avec une courte conclusion.

    Il s’agit donc à l’origine d’une thèse de doctorat qui s’adresse principalement aux experts du domaine de l’histoire du Québec et particulièrement à l’histoire économique de la province. L’ouvrage est également d’un intérêt remarquable pour les spécialistes en études régionales ou ceux qui s’occupent même du développement régional d’un point de vue historique. L’ouvrage est également particulièrement intéressant pour les personnes ayant travaillé pour Shawinigan Water and Power et leurs descendants ainsi que pour tous ceux et celles qui sont impliqués ou s’intéressent pour la société d’État québécoise Hydro-Québec vu que son histoire est étroitement lié à celui de Shawinigan Water and Power.  Le but de l’auteur était de mettre l’accent sur l’économie québécoise avant l’étatisation qui est selon lui souvent laissé à l’ombre. Il voulait mieux connaître le rôle de Shawinigan Water and Power dans le secteur de l’hydroélectricité québécoise, mais en même temps aller plus loin que le nombre d’ouvrages semblables qu’il mentionne et qui l’ont inspiré en touchant aussi ce que l’on appelle l’«Empire Shawinigan », c’est-à-dire l’organisation administrative et la crise interne, les caractéristiques des différents dirigeants et l’évolution intégrale du groupe industriel en mettant l’accent sur une centaine de firmes et filiales de Shawinigan Water and Power et ses investissement spécifiques, accomplissements progressives et rendements positifs et négatifs. Après avoir parlé des enjeux de l’étude d’une grande entreprise d’électricité au Québec, l’auteur parle donc dans un premier temps de l’entreprise d’électricité avant de se concentrer sur ce que l’auteur appelle le groupe Shawinigan, un important groupe industriel multisectoriel. Afin d’atteindre ces objectifs, l’auteur s’est servi de plusieurs ouvrages historiques déjà existants, mais principalement penché sur l’étude des Archives nationales du Canada et le Centre d’archives d’Hydro-Québec.

    L’auteur divise l’histoire de l’entreprise d’électricité en trois étapes. Dans la première étape traitant l’établissement d’un territoire, l’auteur démontre la montée rapide de l’entreprise durant les deux premières décennies de son existence. Fondée en janvier 1898 par des hommes d’affaires anglophones venant de Boston et Montréal, l’entreprise s’installe dans la région de la Mauricie qu’elle développe industriellement. L’entreprise tente d’établir un marché régional autour de la première centrale hydroélectrique. La croissance de l’entreprise repose sur des ventes massives à la grande industrie et l’achat des concessions autour de la centrale en absorbant bientôt beaucoup de petites entreprises moins riches et souvent peu structurées. L’entreprise s’engage également dans un processus d’expansion spatial après avoir créé un monopole naturel en Mauricie toléré par le gouvernement. D’abord en concurrence avec la société Montreal Heat, Light and Power, Shawinigan Water and Power s’unie bientôt avec celle-ci. Les deux entreprises s’achètent les actions les une des autres et échangent même leurs administrateurs, ce que l’auteur décrit comme une vraie première dans l’histoire économique du Québec et une des raisons principales pour la montée et plus tard le déclin de l’empire.

    Dans la deuxième étape, l’auteur aborde le rôle de leader de l’entreprise à partir des années 1920 jusqu’à la première phase d’étatisation en 1944 qui donne naissance à Hydro-Québec qui devient un concurrent farouche. Durant les années 1920, l’entreprise obtient l’ensemble des chutes du haut Saint-Maurice par l’État québécois et domine le marché de l’électricité des lieux les plus importants au Québec, mais elle fait aussi face à ses premiers échecs ou complications. Un projet dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean mène à des ententes complexes quadripartites et une implication au moins indirecte dans la « tragédie du Saguenay-Lac-Saint-Jean », mais se termine avec un bilan positif selon l’auteur qui permet à l’entreprise d’obtenir une quantité d’énergie supplémentaire, à empêcher la naissance de firmes productrices concurrentes et à créer des conditions comparables à celles établies partout aux abords du Saint-Laurent. Le premier grand échec se déroule selon l’auteur plutôt en lien avec les projets de Mille Iles Power et de Carillon à proximité de Montréal dans lesquels l’entreprise investit beaucoup d’argent pour voir les projets démantelés et abandonnés seulement une ou deux décennies plus tard. Vu que Montreal Heat, Light and Power n’assume pas la responsabilité des ententes préalables, un froid se crée entre les deux alliés et brise ce que l’auteur appelle le « sentiment de communauté d’intérêts ». La grande crise économique désavantage encore plus leurs relations. L’État québécois cherche à enquêter et réglementer les pratiques des entreprises d’électricité lors de la commission Lapointe qui font face à une crise de légitimité durant les années 1930. Ce n’est qu’avec le début de la Deuxième guerre mondiale que l’économie redevienne favorable à Shawinigan Water and Power, mais cette amélioration ne peut empêcher la fondation d’Hydro-Québec.

    La troisième étape à partir de 1944 et 1945 initie véritablement le déclin progressif de l’entreprise concurrencé par une société d’État mettant en question les marchés entre les grandes firmes et l’équilibre créé depuis cinq décennies. L’État québécois réserve à sa société des immenses ressources des bassins hydrographiques de la Côte-Nord et tente de limiter l’expansion du marché de Shawinigan Water and Power. Des retards et complications dans l’aménagement d’une centrale hydroélectrique à Hamilton au Labrador ainsi que la victoire d’Hydro-Québec dans l’obtention du droit d’aménagement du projet prometteur de Bersimis par l’État québécois plongent l’entreprise dans une crise. Elle devient dépendante d’Hydro-Québec et doit acheter de l’énergie supplémentaire de la société d’État pour subvenir aux besoins et demandes de sa clientèle vu qu’elle n’a pas réussi à construire de nouvelles grandes centrales hydroélectriques. Lors de la deuxième phase d’étatisation, Shawinigan Water and Power se fait finalement définitivement acheter par Hydro-Québec en 1963, une procédure fortement influencé par la vague de Révolution tranquille dans la province et les décisions du Ministre des Ressources hydrauliques et des Travaux publics et plus tard du Ministre des Richesses naturelles qui est à l’époque René Lévesque. Selon l’auteur, le bilan par rapport à une forte croissance du volume d’affaires de la compagnie d’électricité basée sur les clientèles domestique et commerciale suite à la reprise du programme d’électrification des municipalités rurales autour de 1955 reste positif et la santé au moment que l’entreprise devienne une filiale d’Hydro-Québec est excellente.

    L’auteur analyse ensuite le groupe Shawinigan en deux étapes. Il parle d’abord de la formation et de l’expansion initiale de celui-ci qui couvre la période de 1898 à 1929. Au début, la plupart des secteurs connaissent des rendements plutôt faibles ou médiocres et les filiales dépendent de l’aide ponctuelle et structurelle de la grande entreprise d’électricité. Certaines filiales connaissent pourtant aussi une bonne rentabilité, notamment des firmes dans la distribution d’électricité ainsi que des compagnies autonomes. Shawinigan Water and Power ne se concentre donc pas sur les profits capitaux et investissements directs, mais tente de bâtir un empire pour le futur.

    Lors de la deuxième phase que l’auteur décrit comme le déclin et la désintégration du groupe Shawinigan à partir de 1930 et finissant en 1963, la grande crise économique frappe de plein fouet le groupe industriel plus que la grande entreprise avec des baisses de valeur allant jusqu’à 47% dans le cas de Shawinigan Chemicals et les filiales ne se rétablissent jamais de ce traumatisme profond. L’empire décide de se concentrer quasiment uniquement sur les domaines de l’électricité et de la chimie et ce n’est que Shawinigan Engineering qui survit d’une manière plus ou moins autonome. On peut parler de financements autonomes et de réinvestissements dans des vieux projets déjà réalises sans initier assez d’innovations pour revenir au niveau relativement prospère avant la grande crise. L’entreprise principale se détache de ses filiales peu à peu et se restructure massivement. Suite à l’étatisation sous le gouvernement de Jean Lesage, seulement deux filiales, la Shawinigan Chemicals et la Shawinigan Engineering, survivent cette époque. La première devient une partie de l’empire Gulf, la deuxième est acquise par Canada Steamship Lines pour devenir enfin une filiale du groupe Lavalin.

    En ce qui concerne maintenant ma critique de l’ouvrage, il y a beaucoup de points positifs, mais aussi certains points négatifs. Le principal avantage de l’ouvrage est qu’il amène véritablement quelque chose de nouveau grâce aux détails portant sur la dualité entre Shawinigan Water and Power qui est précisée à l’aide des sources venant des archives d’Hydro-Québec et surtout grâce au deuxième volet de l’ouvrage qui porte sur le groupe Shawinigan et ses différentes filiales dont on entend peu parler dans d’autres ouvrages comparables. La consistance de l’ouvrage est énorme et cire une multitude de sources pertinentes et détaillées ce qui assure la validité et démarche professionnelle du livre. Un autre point positif est sans aucun doute l’illustration, car l’auteur cherche à visualiser avec des tableaux, cartes et photos les différentes étapes de son analyse. Ceci facilite la compréhension du texte qui est fluide, mais qui déborde de chiffres complexes, d’abréviations et termes techniques et de noms de personnages et entreprises souvent étrangers et difficiles à retenir. Au niveau de l’organisation du texte, l’auteur fait bien de séparer ses deux analyses portant à la fois sur l’entreprise hydroélectrique et aussi sur l’empire Shawinigan avec toutes ses filiales, car la lecture aurait été trop lourde et la richesse d’informations trop chaotique pour être un ouvrage structuré et professionnel.

    Pourtant, il y a aussi quelques points négatifs. Après une analyse très détaillée qui inclut pourtant très rarement des légers sauts dans le temps en ce qui a trait notamment les illustrations supplémentaires, l’ouvrage s’arrête abruptement lorsqu’on parle des dernières années de Shawinigan Water and Power. Le sujet est amené d’une manière tellement riche et intéressante que l’on aurait aimé avoir des détails sur l’étatisation de l’entreprise par rapport aux décisions politiques, le destin des travailleurs et dirigeants de l’entreprise et l’absorption stratégique de l’entreprise privée par la société d’État. Comment est-ce qu’Hydro-Québec a pu fusionner les stratégies de l’entreprise privée avec son idéologie? À quel point est-ce que l’absorption a renforcé la société d’État au niveau provincial, national et international? Une entrevue avec un ancien travailleur ou même dirigeant de Shawinigan aurait pu amener une perspective socioéconomique au sujet qui manque ici. Une autre lacune légère est le manque d’une chronologie vraiment détaillée ou d’un tableau unissant les différentes filiales avec leurs chiffres les plus importants. Il y a certains tableaux dans l’annexe qui touchent partiellement ces aspects, mais ceux-ci sont souvent très spécifiques et complexes et un schéma général y manque encore. D’un point de vue plus personnel encore, je trouve que le bilan final de l’auteur est beaucoup trop positif vu que Shawinigan Water and Power a selon moi connu un déclin extrême lors de ses dernières décennies en ce qui concerne ses ambitions d’expansion échouées, sa dépendance élevée d’Hydro-Québec et sa perte de marché et que l’on ne peut ainsi pas parler d’un bilan positif ou mitigé pour ces dernières années.

    Pour en conclure, « Shawinigan Water and Power – 1898-1963 – Formation et déclin d’un groupe industriel au Québec » est un ouvrage bien structuré, riche en informations et réussit à ajouter une particularité unique au domaine des recherches de l’histoire économique du Québec grâce à son deuxième volet qui jette un regard professionnel et détaillé derrière les coulisses d’une grande entreprise d’électricité. Celui-ci donne envie de connaître savoir encore davantage sur le destin de l’empire après sa chute et invite ainsi indirectement la communauté scientifique d’une manière dynamique d’explorer encore plus ce terrain historique à la base de cette thèse. 

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    1. Introduction

     

    À partir de la fin de la Première Guerre mondiale jusqu’à la fin de ce que l’on appelle la Grande Noirceur qui couvre la période du deuxième mandat du premier ministre québécois Maurice Duplessis de 1944 jusqu’en 1959, la province du Québec était à l’avènement de changements moraux, sociaux et économiques tout en essayant de plus en plus de protéger de manière conservatrice la survie des valeurs traditionnelles telles que la foi catholique, la famille et l’agriculture et de forger une plus forte identité québécoise. Mon travail thématique tente d’analyser de plus près cette époque entre les deux extrêmes en mettant l’accent sur la colonisation de la province à l’aide de trois exemples traitant le développement de l’Abitibi et de la Témiscamingue, du Nouveau-Québec ainsi que du Saguenay et du Lac-Saint-Jean. Le travail se concentre ici surtout sur la période de 1918 à 1960. Après une mise en contexte, je vais m’apprêter d’analyser étape par étape la colonisation franco-canadienne de cette époque à l’aide de plusieurs ouvrages historiques et articles de revues scientifiques et tenter de conclure avec un regard vers ce qui se passera entre le début des années soixante du vingtième siècle marquées par la Révolution tranquille et la situation d’aujourd’hui.

     

    2. La colonisation franco-canadienne suite à la Confédération canadienne

     

                Il y a déjà des tentatives de colonisation franco-canadiennes bien avant l’époque touchée par le travail thématique. Il faut ici souligner le curé François-Xavier-Antoine Labelle qui voulait cesser l’émigration des Canadiens-français vers la Nouvelle-Angleterre depuis la création de la Confédération canadienne en fondant la société de colonisation du diocèse de Montréal ainsi qu’une loterie pour ladite colonisation. Il œuvre notamment dans la paroisse de Saint-Jérôme qui est devenue la capitale des Laurentides d’où vient le surnom «Roi du Nord» attribué à Labelle. Le premier ministre provincial Honoré Mercier lui confie le post de sous-commissaire au nouveau département de l’Agriculture et de la Colonisation.[1] Suite à la mort de Labelle qui avait pris une distance face à l’idéologie ultramontaine et ainsi perdu beaucoup de prestige, les efforts de la colonisation sont pratiquement cessés. D’une année à l’autre, le budget est presque coupé de la moitié et le nouveau ministère est supprimé en 1901 pour être rétabli en 1905 par le premier ministre Gouin. Vers le début du vingtième siècle, la colonisation reprend de l’ampleur et devient tranquillement une préoccupation nationale.

     

    3. Le Québec entre 1918 et 1960: Conservatisme et agriculturalisme

     

    Suite au déclin de l’idéologie ultramontaine de la fin du dix-neuvième siècle qui proclame la suprématie de l’Église dans la société, le Québec s’accroche à un traditionalisme nationaliste beaucoup plus politisé et désacralisé en voulant protéger en premier lieu la culture franco-canadienne et les désirs du peuple. Plusieurs événements historiques ont fait en sorte que ce mouvement perçu comme progressiste et social prend une tournure conservatrice. L’élite de la province est essentiellement réservée au clergé et aux professions traditionnelles. Elle est homogène et s’oriente à l’image de la philosophie française de l’«Honnête homme» misant sur des formes de politesse et rituels civilisés, mais aussi sur un savoir unique et très renfermé tout en évitant tout lien avec ce que l’on considère étant des personnes de mauvaises mœurs[2]. Lionel-Adolphe Groulx, personnage marquant de l’époque, précise que ce type d’homme fallait «savoir et converser et vivre»[3]. Selon Frédéric Lasserre, le clergé conservateur et agriculturaliste poursuit certaines tendances ultramontaines en encourageant «une forte natalité afin d’assurer un accroissement démographique qui permettrait d’assurer aux Canadiens-français de demeurer majoritaires sur leurs terres, un phénomène appelé la «revanche des berceaux» et qui a caractérisé la démographie canadienne-française jusque dans les années 1950.»[4] Cet agriculturalisme est décrit par Michel Brunet comme étant «une philosophie de la vie qui idéalise le passé, condamne le présent et se méfie de l’ordre social moderne».[5]  D’un point de vue démographique, le sous-développement canadien-français face aux taux de naissances élevés dans le Canada anglophone et aux États-Unis parsème la peur d’autres tentatives d’assimilation vécues par la province dans le passé et le Québec tente de s’isoler davantage. Le début du vingtième siècle connaît politiquement la crise de la conscription lors de la Première Guerre mondiale qui mène à l’émeute de Québec et crée un fossé de plus en plus profond entre le gouvernement fédéral et provincial. La montée de nouvelles idéologies telles que le socialisme ou de nouveaux mouvements tels que l’émancipation de la femme restent suspects à l’élite franco-canadienne. Les valeurs nouvelles telles que la démocratie, l’individualisme ou l’éducation allant à l’attribution de diplômes sont méprises. Henri Bourassa voit les valeurs traditionnelles en danger et constate dans un sur deux documents d’époque fournis que j’avais choisi que «l’industrialisme capitalisé, enfin, avilit la propriété foncière, particulièrement la propriété rurale; il crée le plutocratisme, avec son inévitable compagnon, le paupérisme, d’où, par une naturelle conséquence, jaillit le socialisme; il arrache le peuple à la vie saine des campagnes, favorable entre toutes au développement de la famille, pour en surpeupler les villes et créer l’effroyable atmosphère où fondent et se corrompent les familles rurales.»[6] La crise économique et l’avènement d’un nouveau conflit mondial soulignent ces attitudes.

     

    4. La crise de la colonisation

     

                L’entre-deux-guerres connaît une mise en valeur de la colonisation. Dans le même discours déjà mentionnée, Bourassa constate qu’«il est absurde qu’une ville comme Montréal possède à elle seule un tiers de la population de la province.» Il va même plus loin en soulignant que «le mieux qui pourrait arriver à Montréal, ce serait que deux cent mille de ses habitants la quittassent demain et s’en allassent à la campagne reprendre dans le contact avec la bonne terre une provision de force et de santé.» En accusant l’émigration et l’étouffement ou la surpopulation des campagnes du déclin démographique, social et économique du Québec, Paul Gouin, avocat et homme politique montréalais, suggère dans le deuxième document d’époque sélectionné de ma part parmi les choix sur le site du cours la réclamation de l’opinion publique en faveur d’un «plan de colonisation soigneusement étudié et hardiment exécuté.»[7] Il prévoit la fondation des centaines de nouvelles paroisses à travers la province orchestrée par une commission. Selon lui, «il s’agit ici d’une formule nouvelle, d’une commission composée de fonctionnaires et de spécialistes indépendants, et possédant toute la liberté d’action et toute l’autorité nécessaires pour régler nationalement et non pas politiquement, une question nationale.»  Gouin va encore plus loin en proclamant la maxime suivante: «Si nous voulons enfin devenir un peuple, il faut coloniser. Il faut coloniser la terre; il faut coloniser aussi les âmes et les cœurs.»

     

    L’Union nationale sous Maurice Duplessis réalise en grandes parties ces idées après l’échec du plan Gordon au niveau fédéral étant peu planifié et trop orienté à transformer des chômeurs en agriculteurs et qui voulait initier un exode urbain afin d’éviter des révoltes. Il faut également mentionner la dualité avec l’échec du plan Vautrin au niveau provincial qui porte un coup fatal au gouvernement Taschereau car le ministre de la Colonisation, de la Chasse et des Pêcheries utilise des subventions accordé au plan à des fins personnelles.

     

    5. La mise en valeur de la colonisation sous Duplessis

     

    Même si Gouin et Duplessis mettent bientôt un terme à leur coopération au sein du même parti à cause de quelques points de vue différents, le premier ministre met en valeur le développement rural. Il crée le Crédit agricole provincial, met en œuvre un vaste programme d’électrification, soutient la formation de coopératives de pêche, favorise la voirie en la mettant au premier rang des prévisions budgétaires à la fin de son règne et il se préoccupe des régions rurales éloignées dans les régions administratives de la Côte-Nord et du Nord-du-Québec. En même temps, il accorde davantage d’attention à l’influence cléricale au sein de l’État, au sentiment national et patriotique et au mouvement anti-syndicaliste et anti-interventionniste.[8] Par contre, malgré ces efforts, il reste impuissant face au phénomène de l’urbanisation et du néolibéralisme.

     

    6. La colonisation en Abitibi et en Témiscamingue

     

    Gouin donne dans son ouvrage l’exemple des terres en Abitibi et en Témiscamingue comme des régions qui devraient être davantage colonisées. Le chercheur Jean-Pierre Dupuis décrit que la région «fondée pour perpétuer le mode de vie agricole des Canadiens-français, n’aurait pas réussi, malgré tous les efforts consentis, à soustraire ceux-ci aux effets négatifs de l’industrialisation capitaliste.»[9] Cela s’explique par deux phénomènes principaux. Premièrement, la politique économique de l’Union nationale concède de grands avantages aux compagnies étrangères afin de les inciter de s’installer au Québec. Les colons francophones voient bientôt plus de perspectives en travaillant au sein de ces entreprises au lieu de garder leur métier traditionnel de cultivateur. Deuxièmement, la crise économique contribue au début à faire gonfler les effectifs des agricultures, car la production domestique ainsi que l'entraide familiale constituent le seul rempart contre l'indigence complète pour un bon nombre de sans-emplois. Mais après une hausse remarquable de la production lors de la Deuxième Guerre mondiale, les coûts de production bondissent, les travaux en forêt se professionnalisent et les communications de masse deviennent omniprésentes contredisant peu à peu la vision des élites politiques et religieuses en charge de la colonisation. Le talon d’Achille de la colonisation est d’ailleurs imprégné dans le début du siècle lors des premières tentatives de la reprise du mouvement. Il faut notamment parler du manque d’instruction des agriculteurs, de faibles ressources financières, de la crise agricole de 1921 consécutive à la fermeture des marchés européens menant au syndicalisme agricole et de la crise économique mondiale.[10] Le sort de l’Abitibi-Témiscamingue ne s’améliore que tardivement avec une deuxième vague de colonisation avec la découverte de gisements aurifères qui amène des travailleurs miniers de l’Europe orientale suite à la Deuxième Guerre mondiale. Cet essor est plutôt influencé par une nouvelle politique d’immigration que par le sens original de la colonisation. 

     

    7. La colonisation du Nouveau-Québec

     

                Le Nouveau-Québec correspond avec les régions administratives du nord de la province qui sont aujourd’hui la Côte-Nord et le Nord-du-Québec. Des villes telles que Port-Cartier, Baie-Comeau et l’ancienne ville d’Hauterive aujourd’hui intégrée au sein de Baie-Comeau, Sept-Îles ou encore Schefferville où Duplessis, décède en 1959 surgissent ou progressent massivement à la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Duplessis est ici influencé et suivi de près par le professeur d’économie et sociologue Esdras Minville qui avait tenté de réparer les dommages créés par les plans Gordon et Vautrin. Pourtant, cette colonisation est souvent dépendante des entreprises américaines et n’est point durable. Tandis que certaines villes nordiques canadiennes sont en forte expansion, ceci n’est pas le cas pour le Québec. L’exemple de Schefferville est parmi les plus frappants. Lorsque Brian Mulroney, président de l’«Iron Ore Company» annonce le 2 novembre 1982 la fin de l’expédition du fer de Schefferville entrepris pendant seulement vingt-huit ans, la plupart des cinq milles habitants quittent la région. Ce qui en reste aujourd’hui sont environ deux cents colons blancs cohabitant avec neuf cents Innus de la bande de Matimekosh-Lac-John et huit cents Naskapis de Kawawachikamach. Malgré l’écotourisme et une nouvelle identité purement autochtone qui rebaptise par exemple la ville au nom de Matimekosh, la ville se distingue par ses bâtiments et centre sociaux démolis ou démantelés, une isolation socioéconomique et un taux de criminalité élevé.[11] Bien des villes nordiques connaissent le même sort et sont souvent mis plus tard sous la gestion autonome des peuples autochtones. La vague de colonisation s’arrête donc à peu près en même temps que la Révolution tranquille trouve son apogée.

     

     8. La colonisation au Saguenay et au Lac-Saint-Jean

     

                L’ouverture des terres du Saguenay et du Lac-Saint-Jean date de 1842 lors d’une entente entre le gouvernement du Canada-Uni et la Compagnie de la Baie d’Hudson suite à une pétition des habitants de Charlevoix. Faisant partie de la Société des Vingt-et-un et étant les colons pionniers du nord du Québec, ils demandent l’ouverture de la région à des fins d’exploitation agricole. Le gouvernement s’engage à laisser le monopole du commerce des fourrures à la Compagnie, mais se permet l’établissement de colons dans certaines régions choisies.[12] L’implantation d’une industrie des pâtes et du papier dirigée par des investisseurs anglophones comme les héritiers de William Price, surnommé «Père du Saguenay», favorise à partir du début du vingtième siècle la production hydro-électrique de la région. Celle-ci attire ainsi des alumineries et l’économie régionale connaît une première apogée. Le ralentissement économique suite à la Première Guerre mondiale mène à des conflits ouvriers en 1921. Une mauvaise adaptation aux réalités régionales de la part de la Fédération ouvrière de Chicoutimi, la fermeture d’usines de papeterie comme dans le village de Val-Jalbert en 1927 et enfin la crise économique mondiale en 1929 mènent au déclin. Pour contrer la tendance, le gouvernement provincial investit dans des projets de construction comme ceux des routes de terre vers Saint-Siméon, Saint-Urbain et Québec à partir d’Hébertville ou encore la construction du Pont de Sainte-Anne à Chicoutimi. Ces réseaux routiers, le redémarrage économique lors de la Deuxième Guerre mondiale et la con-urbanisation des trois villes de Chicoutimi, Jonquière et La Baie favorisent l’urbanisation et l’industrialisation grandissantes de la région ressemblant à celles des grands centres québécois à partir des années 1960. L’installation de l’Université du Québec à Chicoutimi ouvre la région envers le reste de la province et le monde entier. Les premiers effets positifs de ce développement disparaissent pourtant rapidement au cours des dernières décennies du siècle.

     

     9. La Révolution tranquille

     

                Une panoplie de raisons explique la fin de la colonisation en lien avec la Révolution tranquille. Premièrement, il y a l’émergence d’une nouvelle intelligentsia au Québec remplaçant l’autorité cléricale. Elle est en faveur d’une société urbaine, sécularisée et démocratique, influencée par les nouveaux médias et la renaissance intellectuelle de la poésie et du roman. On observe un «nouvel espace idéologique»[13]. Le Québec sort de son isolation sociopolitique et devient plus rationnel et adapté aux réalités du monde moderne. Vu que la plupart des villes éloignées sont des paroisses gérées par l’Église catholique, celles-ci subissent durement le déclin religieux qui ronge aussi de l’intérieur avec les pressions de la Confédération des travailleurs catholiques du Canada, la Jeunesse étudiante Catholique ou des revues progressistes telles que la Cité libre que le clergé tente en vain d’affronter avec des mesures telles que la limitation d’accès aux revues et livres savants à l’aide de l’Index. Le slogan du parti libéral qui gagne les élections en 1960, «Maîtres chez nous!», ne s’applique pas seulement au niveau intellectuel, social ou politique, mais également au niveau économique. Beaucoup d’entreprises américaines quittent la province en abandonnant peu à peu les villes et villages récemment construits. Les sociétés d’État émergent, l’économie locale redémarre et un programme de réformes sociales progressistes est mis en place incluant l’assurance-hospitalisation gratuite et la création du ministère des Affaires culturelles. Le rôle de l’état dans l’économie devient de plus en plus important. Le taux de natalité élevé favorise une forte urbanisation, les nombreuses réformes et nouvelles libertés ouvrent le Québec envers le monde et la nouvelle conscience nationale incite une montée indépendantiste.

     

    10. Le sort des colonies éloignées

     

    La colonisation reste pourtant à l’écart des progrès qui se jouent surtout dans les grands centres urbains valorisés par une panoplie d’événements socioculturels, des fois à l’échelle internationale telle que l’Exposition universelle de 1967 à Montréal.

     

    Dans le nord québécois, la Convention de la Baie-James et du Nord québécois de 1975 attribue une large autonomie politique et administrative aux communautés autochtones et la démographie y augmente lentement.

     

    L’Abitibi-Témiscamingue profite plus tard de sa position géographique en agissant en tant que centre important concernant les relations commerciales et culturelles avec le Nord-du-Québec et en hébergeant des projets hydroélectriques importants, mais la démographie reste néanmoins en déclin.

     

    Au Saguenay-Lac-Saint-Jean, une ère de quatre décennies de prospérité prend sa fin au début des années 1980 et ce sont encore principalement les compagnies anglophones restantes et les emplois traditionnels qui y jouent un rôle déterminant dans le secteur économique. La démographie y est également en déclin car beaucoup de jeunes manquent de perspectives et effectuent un exode rural vers les grandes villes.

     

    11. Conclusion

     

                Pour en conclure, la colonisation du Québec a été orchestrée à l’aide des valeurs ecclésiastiques ultramontaines et a connu son apogée à partir de la Première Guerre mondiale pour se terminer au plus tard au courant de la deuxième moitié du vingtième siècle. Les gouvernements en place durant la première moitié du vingtième siècle préconisent la vie familiale et l’agriculture et condamnent l’individualisme et les péchés des villes. Toute une identité et philosophie nationale meurt avec le décès de Maurice Duplessis et les valeurs et priorités sociales et gouvernementales changent radicalement. Les quelques régions éloignées florissantes sont encore à nos jours emprisonnées dans une relation de dépendance envers des entreprises étrangères et des projets d’état, si elles ne se définissent pas par une nouvelle identité autochtone qui a connu un essor lors des dernières décennies. Finalement, la colonisation québécoise constitue un échec, car la majorité de la population se concentre sur les grandes villes tandis que les grands espaces nordiques sont en déclin et restent peu peuplés, exploités et découverts jusqu’à nos jours.   


    Bibliographie

     

    1.      BÉLAND, Mario, «Le «Roi du Nord»» dans Cap-aux-Diamants No. 55, automne 1998, Les Éditions Cap-aux-Diamants Inc., Québec, 1998, 57 pages (page 53)

     

    2.      BOURASSA, Henri, «La famille canadienne-française. Son péril, son salut», dans  La famille. Compte rendu des cours et conférences, Semaines sociales du Canada, IVe session, Montréal, 1923, 360 pages (pages 280 et 284)

     

    3.      BRUNET, Michel, «Trois dominantes dans la pensée canadienne-française: l’agriculture, l’anti-étatisme et le messianisme», dans La présence anglaise et les Canadiens: études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Éditions Beauchemin, Montréal, 1958, 292 pages (pages 113 à  166)

     

    4.      DUMONT, Fernand, «Une révolution culturelle?», F. Dumont, J. Hamelin, J.-P. Montminy, dir., dans Idéologies au Canada français 1940-1976, Vol I: La Presse - La Littérature, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1981, nombre original de pages inconnu (pages 5 à 31)

     

    5.      DUPUIS, Jean-Pierre, «Le développement minier de l’Abitibi: les projets des colons», dans Recherches sociographiques Vol. 34, no 2, mai-août 1993, Presses de l’Université Laval, Québec, 1993, 569 pages (pages 233 à 260)

     

    6.      FARET, Nicolas, «L’honnête homme ou L’art de plaire à la cour», Éditions Pierre David, Paris, 1630, 231 pages (pages 21 et suivantes)

     

    7.      GARNEAU, Louis,  «Le dernier train pour Schefferville – La Métropole du Nord revit sous les pas des Innus et des Naskapis», dans Recto verso, no 299, nov.-déc. 2002, revue indépendante, Montréal, environ 38 pages (pages 10 à 16)

     

    8.      GIRARD, Camil et Normand Perron, «Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean», Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989, 665 pages

     

    9.      GOUIN, Paul, «Colonisons la terre, les âmes et les cœurs», dans Servir. I. La cause nationale, Montréal, Les Éditions du Zodiaque, 1938, 250 pages (pages 123 à 132)

     

    10.  GROULX, Lionel-Adolphe, «L’originalité de notre histoire», dans Centenaire de l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau, Société historique de Montréal, 1945, 460 pages (page 38)

     

    11.  LACOURSIÈRE, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, «Maurice Duplessis premier ministre (1944-1959)» dans la troisième partie de Canada – Québec: 1534-2000, Éditions du Septentrion, Montréal, 2001, 592 pages (pages 444 à 454)

     

    12.  LASSERRE, Frédéric, «La quête du territoire de la Nation: de l’empire du Canada à la Terre-Québec», dans Varia – 190 – 2004/1, revue Norois, Éditeur Brest, Université de Caen Basse Normandie, 2004, 117 pages (pages 9 à 23)

     

    13.  RENAISSANCE CATHOLIQUE, LA (auteurs spécifiques non mentionnés), «La colonisation du Québec» dans  La Renaissance catholique, numéros 33 à 36, Issy-les-Moulineaux, France, janvier à avril 1996, total de 13 pages 

     

     


    [1] BÉLAND, Mario, «Le «Roi du Nord»» dans Cap-aux-Diamants No. 55, automne 1998, Les Éditions Cap-aux-Diamants Inc., Québec, 1998, 57 pages (page 53)

    [2] FARET, Nicolas, «L’honnête homme ou L’art de plaire à la cour», Éditions Pierre David, Paris, 1630, 231 pages (pages 21 et suivantes)

    [3] GROULX, Lionel-Adolphe, «L’originalité de notre histoire», dans Centenaire de l’Histoire du Canada de François-Xavier Garneau, Société historique de Montréal, 1945, 460 pages (page 38)

    [4] LASSERRE, Frédéric, «La quête du territoire de la Nation: de l’empire du Canada à la Terre-Québec», dans Varia – 190 – 2004/1, revue Norois, Éditeur Brest, Université de Caen Basse Normandie, 2004, 117 pages (pages 9 à 23)

    [5] BRUNET, Michel, «Trois dominantes dans la pensée canadienne-française: l’agriculture, l’anti-étatisme et le messianisme», dans La présence anglaise et les Canadiens: études sur l’histoire et la pensée des deux Canadas, Éditions Beauchemin, Montréal, 1958, 292 pages (pages 113 à  166)

    [6] BOURASSA, Henri, «La famille canadienne-française. Son péril, son salut», dans  La famille. Compte rendu des cours et conférences, Semaines sociales du Canada, IVe session, Montréal, 1923, 360 pages (pages 280 et 284)

    [7] GOUIN, Paul, «Colonisons la terre, les âmes et les cœurs», dans Servir. I. La cause nationale, Montréal, Les Éditions du Zodiaque, 1938, 250 pages (pages 123 à 132)

    [8] LACOURSIÈRE, Jacques, Jean Provencher et Denis Vaugeois, «Maurice Duplessis premier ministre (1944-1959)» dans la troisième partie de Canada – Québec: 1534-2000, Éditions du Septentrion, Montréal, 2001, 592 pages (pages 444 à 454)

    [9] DUPUIS, Jean-Pierre, «Le développement minier de l’Abitibi: les projets des colons», dans Recherches sociographiques Vol. 34, no 2, mai-août 1993, Presses de l’Université Laval, Québec, 1993, 569 pages (pages 233 à 260)

    [10] RENAISSANCE CATHOLIQUE, LA (auteurs spécifiques non mentionnés), «La colonisation du Québec» dans  La Renaissance catholique, numéros 33 à 36, Issy-les-Moulineaux, France, janvier à avril 1996, total de 13 pages

    [11] GARNEAU, Louis,  «Le dernier train pour Schefferville – La Métropole du Nord revit sous les pas des Innus et des Naskapis», dans Recto verso, no 299, nov.-déc. 2002, revue indépendante, Montréal, environ 38 pages (pages 10 à 16)

    [12] GIRARD, Camil et Normand Perron, «Histoire du Saguenay-Lac-Saint-Jean», Québec, Institut québécois de recherche sur la culture, 1989, 665 pages (remarque: le paragraphe entier est surtout basé sur différentes sections de cet ouvrage)

    [13] DUMONT, Fernand, «Une révolution culturelle?», F. Dumont, J. Hamelin, J.-P. Montminy, dir., dans Idéologies au Canada français 1940-1976, Vol I: La Presse - La Littérature, Québec, Les Presses de l'Université Laval, 1981, nombre original de pages inconnu (pages 5 à 31)

     

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    Le compte rendu critique suivant porte sur le documentaire canadien «Paysages fabriqués». Datant de 2006, le documentaire d’environ quatre-vingt-six minutes réalisé par Jennifer Baichwal accompagne pendant plusieurs mois et à plusieurs reprises le photographe Edward Burtynsky qui part pour découvrir les phénomènes en lien avec l’essor économique chinois. Le but du documentaire est de montrer les changements planétaires illustrés à l’exemple de l’essor économique chinois. Burtynsky avait préféré ne pas distribuer son film dans un environnement politisé pour permettre aux spectateurs de regarder le monde de points de vue différents et non imposés.

                Burtynsky explique que sa fascination pour les paysages fabriqués est à l’origine de la découverte d’un village minier abandonnée en Pennsylvanie qui  lui semblait être un surréalisme oublié par l’histoire, éloigné de la société et négligé par les médias. Malgré que son objectif n’est pas de critiquer l’industrialisation, plusieurs témoignages choisis tels que le commentaire en lien avec des jeunes travailleurs du Bangladesh qui sont jusqu’au cou dans le pétrole pour réparer des épaves ou encore l’interrogation sur le destin des paysans ayant été obligés à déménager lors de construction du barrage des Trois-Gorges laissent sous-entendre son opinion négatif face à ce phénomène. Ses opinions sont soulignées par le choix des images, témoignages et photos. Baichwal et Burtynsky filment des ouvriers morts de fatigue, des enfants jouant dans des montagnes de déchets ou des personnes âgées perdues dans des baraques au cœur des villes. Burtynsky argumente que la destruction de la nature est identique à la destruction d’une identité, mais souligne que les paysages fabriqués définissent une nouvelle philosophie.

                Le documentaire varie entre quatre styles différents. Il montre des extraits d’une conférence et exposition lors de laquelle Burtynsky présente les photos prises durant ses voyages. En lien direct avec cela sont des scènes qui sont filmés un peu derrière les coulisses montrant comment le photographe avait des fois des difficultés à s’entendre avec les autorités chinoises pour filmer certains endroits. Une autre partie revenant à la fin de chaque étape du film nous présente tout simplement les photos prises, des fois en mettant discrètement l’accent sur certains détails, des fois en montrant tout simplement le résultat final. En dernier, il y a le documentaire lui-même qui laisse la place à certains commentaires du photographe ainsi qu’à des témoignages.

                Le documentaire commence avec un travelling de huit minutes filmant l’intérieur d’une des entreprises chinoises gigantesques dans les provinces de Fujian et Zhejiang. En montrant le degré élevé d’identification des ouvriers avec l’entreprise allant jusqu’aux uniformes portant les mêmes couleurs que l’emblème et la mascotte de l’entreprise et en diffusant certains commentaires critiques de certains chefs de section de travail prononcés durant les pauses, le documentaire montre l’effort commun du peuple chinois de rejoindre le statut des pays industrialisés européens et américains. Lorsque des ouvriers ou responsables font pourtant des témoignages, ils préfèrent souvent ne pas dévoiler leur opinion personnelle et récitent des déclarations de l’entreprise, ce qui montre que ce mouvement est fortement centralisé et endoctriné. En ce qui concerne les paysages, la directrice nous montre à l’aide de zooms les détails d’une série de containers ou de disques durs recyclés qui ressemblent à des paysages huis clos invivables. Le documentaire présente ensuite les effets directs des usines gigantesques sur leur entourage avec des montagnes de déchets où des ouvriers font le tri d’éléments recyclables et où des enfants jouent aisément. On voit un peu plus loin un port rempli de cargaisons où se réalise la construction de navires gigantesques. Le recyclage crée des odeurs au-dessus des villes et une contamination de la nappe phréatique selon Burtynsky. Celui-ci met l’accent sur les dangers concernant le développement durable, la santé publique et la biodiversité. Il tente de créer un lien entre l’industrialisation chinoise et sa vie de tous les jours en mettant l’accent sur le fait que cinquante pourcent des ordinateurs au monde se font recycler en Chine. Il montre des extraits filmés en noir et blanc dans le passé illustrant le changement des paysages et la manière dont la population régionale s’est habituée à y vivre. Le documentaire est souligné par une musique de synthétiseurs artificielle, mécanique et discordante sous-entendant une critique et atmosphère négative.

                Ensuite, le documentaire nous montre un port à la plage de Chittagong au Bangladesh où des épaves chinoises se font démolir et recycler. Les travaux sont souvent effectués à la main par de jeunes travailleurs autour de dix-huit ans. Burtynsky met l’accent sur les conditions de travail peu sécuritaires mettant en danger la santé des jeunes. La plupart des images filmées sont en noir et blanc et soulignent la tristesse, la destruction et les dangers sur place. Le fait que les bateaux contenaient surtout du pétrole, un matériel essentiel retrouvé sous forme plus ou moins dérivée dans la vie de tous les jours dans les voitures, vitres ou appareils de photo, est souligné par Burtynsky qui fait allusion à une interdépendance grandissante dans un monde globalisé.

                Après une courte escalade à des sites pollués exploitant du pétrole et du charbon, le documentaire montre les champs de construction du barrage des Trois-Gorges étant le plus grand barrage et la plus grande centrale électrique au monde. Au barrage se trouvent des milliers de travailleurs œuvrant auprès des stocks de matériaux gigantesques dans un environnement sombre et bruyant. À part des témoignages positifs auprès des visiteurs, Burtynsky souligne que la plupart des travailleurs y ayant vécu auparavant doivent démolir leurs propres maisons et sont déménagés par le gouvernement. Les plus démunis se voient complètement séparés de leur entourage habituel.

                La dernière étape du documentaire mène Burtynsky à Shanghai, la ville avec le taux de croissance le plus rapide en Chine ce qui crée un choc des générations. D’un côté, il y a la population plus âgée dans les quartiers démunis s’accrochant au traditionalisme. De l’autre côté, il y a la génération des jeunes qui occupe de plus en plus d’espace et qui s’assimile à une vision du monde globalisée. Cet écart est montré par le témoignage d’une agente immobilière vivant dans une maison gigantesque et employant deux jardiniers ainsi que le lien cinématographiques lorsque celle-ci parle de sa cuisine ouverte pendant que Baichwal montre l’image d’un coin de cuisine d’une ruelle sale. Le documentaire se termine avec une série d’images prises dans la métropole.

                En fin de compte, le documentaire prétendument neutre et peu politisé ne laisse pas la place à une interprétation libre. Burtysnky manque ainsi d’atteindre les objectifs prononcés par lui-même. Il montre des images de paysages sombres, sales et artificiels et commente le sort des jeunes travailleurs, des sans-abris ou de la génération âgée sans pour autant commenter le sort des fonctionnaires et de la classe moyenne enrichie qui vivait souvent en une pauvreté rurale désolante en un environnement plus naturel. Il évite de parler des profits économiques accumulés et de leur gestion étatique ainsi que de la vie des prochaines générations urbaines. Une perspective ou des pistes futures par rapport à la problématique traitée manquent. Burtynsky critique et commente seulement quand il veut et son documentaire manque de cohérence et d’objectivité. Le choix des images ressemblant à des diaporamas sans fin et de la musique sombre biaise le documentaire. Un autre réalisateur aurait pu arriver à un résultat complètement différent avec les mêmes choix. Le documentaire ressemble avec ses images industrielles beaucoup à la comédie dramatique «Les temps modernes» de Charlie Chaplin et avec ses grands plans sur des cubes de déchets au film d’animation «WALL-E» de Pixar, deux films mettant en scène les effets négatifs de l’industrialisation et du système capitaliste. Au lieu de nous montrer une Chine ouverte sur le monde, le réalisateur met en vedette des fonctionnaires et ouvriers manipulés et peu sympathiques tandis que les victimes de cet essor économique se montrent modestes, émotives et authentiques. Étant conscient des problèmes qui accompagnent l’industrialisation chinoise, je suis généralement d’accord avec ceux qui critiquent le fossé entre les générations, la pollution de la planète et le réchauffement politique et l’influence rigide d’un état trop centraliste. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que les villes européennes et nord-américaines ont été sales et surpeuplés lors de leur industrialisation, mais sont souvent engagées dans un développement durable et aménagement environnemental à nos jours. Vu que la Chine vit l’industrialisation de manière beaucoup plus accélérée, je pense que le pays s’engagera à moyen terme également dans une direction favorable à l’écologie. Tous les facteurs critiques du film ont déjà été mentionnés à de nombreuses reprises. D’un point de vue artistique, les images sont souvent impressionnantes, mais d’un point de vue documentaire, le film me semble prétentieux et défaitiste suivant la tendance ordinaire de bien de documentaires propagandistes ayant une touche environnementaliste et gauchiste.

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    I.                   INTRODUCTION

     

    Mon travail de recherche porte sur le Tadjikistan, un pays méconnu en Asie centrale ayant éveillé mon intérêt après avoir lu par hasard un reportage sur ce pays. Ce travail est divisé en trois parties majeures: un complet historique général du pays et du Moyen Orient entier qui est nécessaire afin de comprendre la complexité des enjeux géopolitiques et problématiques ethnico-culturelles et idéologiques auxquelles le pays fait face, un volet portant un intérêt particulier au développement du Tadjikistan sous l’occupation russe et enfin une analyse détaillée de l’évolution du pays depuis son indépendance postsoviétique comportant une ouverture finale décrivant le Tadjikistan moderne.

     

    L’historique général du pays traite dans un premier temps les origines de l’identité tadjike et les différentes époques d’occupation qui ont forgé le pays jusqu’à nos jours. Cette partie aborde brièvement l’histoire des pays avoisinants les plus importants du Tadjikistan en distinguant ce dernier des autres nations.

     

    Ensuite suit une analyse plus détaillée de l’occupation russe et notamment de la République socialiste soviétique du Tadjikistan et son développement politique, géostratégique et économique ainsi que son importance pour Moscou. Cette partie décrit également les conditions des peuples turcophones et persanophones du pays à partir du règne de Staline.

     

     La dernière partie ayant un poids égal aux deux autres met l’accent sur l’évolution du pays suite à la fin du régime soviétique et se concentre sur les instabilités politiques au début des années 1990, la guerre civile du Tadjikistan entre 1992 et 1997 et la montée de l’islamisme dans le pays. Le personnage d’Emomalii Rahmon, officiellement président du Tadjikistan depuis 1994, joue un rôle important dans cette partie. Le travail décrit sa politique intérieure et extérieure de même que le nouveau mouvement nationaliste tadjik. Le travail se termine avec une courte analyse socioculturelle en jetant un regard sur la situation actuelle du pays en parlant notamment de l’influence islamiste, l’exode de la main-d’œuvre masculine et les conditions de vie des femmes dans ce pays souvent négligé par les études historiques, sociologiques et géopolitiques. Une estimation argumentée jugeant le futur proche du pays termine ce travail.

     

    II.                SURVOL DE L’ANTIQUITÉ ET DU MOYEN ÂGE AU MOYEN ORIENT AVEC UNE CONCENTRATION SUR L’HISTOIRE TADJIKE

     

    Étant peuplé depuis plusieurs millénaires avant Jésus Christ par un prototype des ethnies indo-iraniennes et iraniennes, le territoire actuel du Tadjikistan fit partie intégrante des grands empires qui se succédèrent entre le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Inde comme les Empires perse, macédonien, seldjoukide et bactrien durant l’Antiquité et l’époque des grandes migrations eurasiennes. Ce n’est que sous la dynastie samanide régnant en Transoxiane et au Khorassan à l’époque du Moyen Âge et surtout au neuvième et dixième siècle après Jésus Christ suivant la conquête arabe du Moyen-Orient que la culture tadjike commença à se développer. Les dirigeants de l’Empire des Samanides s’intitulant émirs, mais dépendants formellement du califat des Abbassides, firent de leur capitale Boukhara et de la ville de Samarkand des cités florissantes et créèrent une structure étatique forte. La monnaie tadjike contemporaine en vigueur depuis octobre 2000 suite à la décision du président Rahmon de renforcer l’identité nationale tadjike, le somoni, est d’ailleurs nommée en honneur d’Ismail Samani, sous lequel l’Empire des Samanides connût sa plus grande apogée. Ce personnage a la réputation d’avoir fondé le premier État tadjik.[1] Il était un des premiers grands dirigeants issus de la région de la Transoxiane et avait unifié pratiquement tous les territoires peuplés de Tadjiks par ses conquêtes territoriales.[2] Selon les interprétations colorées des historiens proches du pouvoir actuellement en place au Tadjikistan, cette époque caractérisée comme l’âge d’or de l’histoire politico-culturelle étant symbolisée par la renaissance iranienne, un gouvernement relativement stable, une harmonie sociale basée sur une coexistence pacifique entre une conception séculière et religieuse au sein d’une population multiethnique est encore un exemple pour la quête d’une identité nationale contemporaine. L’époque sert à nos jours  en tant qu’enjeu politique pour la légitimation de l’État tadjik et de son président Rahmon.

     

    Vers le début du nouveau millénaire, le Moyen Orient entier devint une poudrière caractérisée par des multiples conquêtes, des gouvernements instables et des vagues migratoires et subdivisions ethnico-culturelles complexes. L’Empire des Samanides fut écrasé par une poussée des Qarakhanides, mais leur royaume occidental tomba à son tour dans les mains des Khorezmiens d’origine seldjoukide. Leur empire fut après peu de temps violemment conquis par l’Empire turco-mongol qui se défit ensuite en quatre khanats mongols dont le khanat de Djaghataï qui occupa une grande partie de la Transoxiane. La division des quatre khanats céda à son tour à l’Empire des Timourides qui fut fondé par le guerrier turco-mongol Tamerlan qui était né près de Samarcande et avec lequel la population en place pouvait s’identifier. En même temps, la région correspondant au Kirghizistan contemporain se fit peupler dès le quinzième et jusqu’à la fin du seizième siècle par les Kirghizes qui étaient un peuple nomade turcophone d’origine mongole ayant inné les valeurs islamiques et qui était majoritairement composé de sunnites ayant déjà été en place dans la région acquise par les Kirghizes migratoires. Le peuple s’était déplacé au fur et à mesure du nord du continent asiatique à travers la Sibérie vers le sud en quête de trouver un territoire stable ce qui fut perturbé par l’émergence et les querelles entre les nombreux empires en place et l’occupation russe par la suite. Tous ces facteurs firent disperser l’unité kirghize autant que l’unité tadjike à travers le continent entier allant de l’Iran jusqu’en Chine et les deux nations partagent ainsi encore à nos jours un sort comparable.

     

    Avec le début du Moyen Âge en Occident, la région du Tadjikistan contemporain tomba sous le contrôle d’une autre dynastie mongole, celle des Chaybanides qui prit le nom d’Ouzbeks en référence au prince mongol Özbeg qui devint ainsi le père fondateur de l’Ouzbékistan contemporain. Encore à nos jours, les régions ethniques tadjiks et ouzbèks se chevauchent au-delà des frontières étatiques ce qui crée d’ailleurs encore de nombreux problèmes identitaires originaires de cette époque bouleversante. La dynastie des Chaybanides fut dirigée par une multitude de khans qui régnèrent de façons distinctes tandis que la seule stabilité et le seul point en commun était l’émergence islamique qui eut une mainmise grandissante sur l’état. Elle limita l’hétérogénéité intellectuelle de la région ce qui mena à des révoltes au sein des différentes populations et même au sein des khans eux-mêmes. Le khan de Boukhara et Samarkand fut assassiné par son propre entourage ce qui mit une fin sanglante à la dynastie. Le khanat de Boukhara fut ensuite dirigé par les Djanides et devint la région la plus riche, la plus puissante et la plus peuplée des divers khanats. On peut parler d’une deuxième époque de stabilité et unité au sein du Tadjikistan. Ce ne fut pas le cas pour une bonne partie des tribus ouzbeks qui montèrent après cet assassinat et des défaites contre les Kalmouks vers le nord pour y former l’ethnie des Kazakhs, un terme qui peut se traduire par «les fugitifs».[3] Les Afsharides émergents conquirent le khanat des Djanides en 1740 et occupèrent l’ancien territoire perse au complet vers la fin du dix-huitième siècle. Mais leur fondateur, Nâdir Shâh, un stratège militaire expansionniste doué avec des idées progressistes voulant équilibrer et enfin unir les peuples sunnites et chiites, se heurta avec ses ambitions utopiques aux différentes mœurs religieuses et devint paranoïaque après un attentat raté initié par un de ses fils qui l’amena à procéder à des vastes purges jusqu’à ce qu’il ait vraiment été assassiné par ses propres généraux.[4] Sa mort entraîna des luttes pour le pouvoir interfamiliales sanglantes dont certains chahs profitèrent pour déclarer l’indépendance de leurs régions comme Ahmad Shâh Durrani qui devint ainsi le premier padishah d’Afghanistan et est à nos jours perçu comme le père de la nation afghane.[5] En même temps, les désirs d’indépendance se prononcèrent également parmi la population turkmène déchirée entre une multitude de petits empires émergents. Elle migrait constamment et assura sa survie économique au niveau du commerce des esclaves en effectuant des raids auprès des régions avoisinantes autour de l’oasis Merv où les ancêtres du peuple turkmène avaient déjà vécu depuis le deuxième millénaire avant Jésus Christ. Ce mouvement fut surtout intellectuel autour du chef spirituel et philosophe poétique Magtymguly Pyragy et autour de l’émergence et de la redécouverte d’histoires épiques nationales telles que l’épopée de Köroğlu qui furent plus valorisées par ce premier leader spirituel et ses successeurs.   

     

    La plupart du territoire tadjik tomba ensuite sous le contrôle des trois khanats ouzbeks. L’émirat de Boukhara fut contrôlé par les Manghit qui étaient des descendants des Mangudaï, une unité de la cavalerie légère de l’Empire mongol ayant colonisé des terres ouzbèks. Une autre partie du territoire était occupé par le khanat de Kokand, une région économiquement florissante constituée de paysans sous le statut officiel de vassalité chinoise qui fit d’importantes conquêtes territoriales, accorda l’asile à la bourgeoisie kazakhe qui chercha à se protéger contre l’expansionnisme russe et qui organisa bientôt des forces armées respectables qui menèrent des révoltes contre la Chine et l’émirat de Boukhara, notamment sous le règne agressif de Jahangir Khoja venant du Turkestan oriental du tribu Aq Tagh parmi les Khoja qui avait crée des milices multiethniques unissant pour la première fois des soldats paysans du Turkestan, Kirghizstan et Tadjikistan. Le troisième khanat ouzbek, celui de Kiva, un ancien pôle islamique majeur de la région, était culturellement, économiquement et militairement moins important que les khanats voisins, se situa majoritairement sur le territoire ouzbek et se détériora à cause d’un bon nombre de conflits régionaux qui déstabilisèrent encore une fois le Moyen Orient entier. Celui-ci poursuivit sa quête désespérée d’une époque stable telle qu’elle avait été vécue sous l’Empire des Samanides.

     

    III.             L’OCCUPATION RUSSE ET LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE SOVIÉTIQUE DU TADJIKISTAN

     

    Après la décision du tsar Alexandre II de rassembler les territoires conquis au fur et à mesure depuis le début de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle en Asie Centrale sous le nom de Turkestan russe en 1867, le Tadjikistan ainsi que le reste de l’Asie Centrale se firent entièrement occuper étape par étape par le puissant voisin russe.[6] À partir de 1868, les Russes occupèrent la ville de Khodjent au bord du fleuve Syr-Daria dans la fertile vallée de Ferghana dans le nord du Tadjikistan étant connue en tant que l’ancienne Alexandrie Eskhate, l’Alexandrie ultime la plus reculée et fondée par Alexandre le Grand qui n’osa pas attaquer les tribus guerrières nomades vivant dans le nord de la ville. La chute du khanat de Kokand en 1873, la conquête du khanat de Bourkhara en 1876 et l’annexion des principautés du Pamir en 1895 marquèrent les étapes marquantes de l’expansionnisme russe.

     

    Les raisons ayant poussé les Russes à conquérir ces terres étaient purement économiques et stratégiques. Économiquement, le prix des fibres de coton monta en flèche à cause de la Guerre de Sécession et la Russie effectua une agriculture massivement concentrée sur le coton dans les nouvelles terres conquises. Stratégiquement, la Russie voulut se protéger contre la Compagnie anglaise des Indes orientales qui avait pris une extension jugée menaçante vers le début de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Plus tard, la Russie chercha également à se protéger contre la montée de l’islamisme au Moyen Orient. La Russie tsariste autant que la Russie soviétique avaient également en vue d’acquérir éventuellement un accès direct à la mer Arabique ce que le pays ne réalisa pourtant jamais car il était incapable de conquérir complètement l’Afghanistan.

     

    La Russie ne rencontra que peu de rébellions, notamment dans les villes de Djizak, d’Istarawshan et de Samarkand lors de ses conquêtes territoriales. Les Russes restèrent distancés à l’égard des différentes ethnies en place et gardèrent des éléments substantiels des anciens régimes en place. Le sous-gouvernement local était de plus en plus fréquent tandis que certains émirs pouvaient garder leur autorité régionale. Les populations islamistes n’étaient pas reconnues en tant que citoyens russes et n’avaient pas les privilèges et le protectorat de la Russie tsariste, mais étaient en même temps relativement libres et épargnées des obligations telles que le service militaire russe. Les autorités tsaristes mirent en place plusieurs mesures hésitantes visant la propagation de la langue russe qui furent plus ou moins couronnées de succès à l’époque. La seule chose qui causa de véritables conflits durant cette phase d’occupation était le contrôle russe de la production et surtout de la distribution des cultures du coton. Généralement, les terres conquises par la Russie retirèrent des avantages de l’occupation tels que de nouvelles relations socioculturelles, des échanges commerciaux intensifiés, le développement de l’éducation, l’émergence des industries et la construction de chemins de fer qui amenèrent une puissante pulsion au développement socio-économique du Turkménistan russe.

     

    Ce sont les Révolutions russes de 1917 qui entrainèrent la région entière dans une féroce guerre civile de six ans qui opposa les Bolcheviks révolutionnaires avec leur Armée rouge aux Armées blanches formées de tsaristes, de partisans d’une monarchie constitutionnelle, de républicains ou encore de socialistes révolutionnaires. Beaucoup de réfugiés de guerre se retirèrent au Turkménistan russe afin de s’y organiser contre les forces bolcheviques ou afin de s’enfuir dans les pays voisins tels que l’Iran, l’Afghanistan ou la Chine.

     

    Le Tadjikistan fut découpé à plusieurs reprises lors de cette période sans que les puissances russes en place aient pris en compte la véritable répartition territoriale des différentes ethnies. Il devint une République autonome au sein de l’Ouzbékistan entre 1924 et 1929 et sa capitale fut placée dans le village de Douchanbé avant que la région soit devenue la République socialiste soviétique du Tadjikistan en 1929.[7] Joseph Staline n’était pas en mesure d’accorder un territoire et une organisation politique propre à chaque peuple de l’Asie Centrale et tenta donc d’assigner des frontières malaisées afin de supprimer d’avance de possibles mouvements indépendantistes. La politique centrale de Moscou oscilla entre la russification et l’encouragement de la culture nationale. L’afflux des Russes et autres Européens appartenant aux pays du bloc de l’Est provoqua la disparition de la langue tadjike comme langue d’enseignement cédant la place au russe. Ce n’est que durant les années 1970 qu’un bon nombre de philologues étudièrent les langues parlées en Iran et en Afghanistan et constatèrent que la langue tadjike n’avait non seulement échoué de se moderniser, mais qu’elle était en voie de disparition totale. Une révolution intellectuelle puisant dans la terminologie du farsi d’Iran et du dari d’Afghanistan modernisa la langue tadjike et des tensions politiques avec Moscou se firent sentir au cours de la décennie suivante qui mena à la Loi sur la langue de la RSS du Tadjikistan vers la fin de la Perestroïka.[8] Étant une des républiques les moins avantagées et importantes de l’Union soviétique, le Tadjikistan connut néanmoins un certain développement industriel basé notamment sur l’industrie légère et agro-alimentaire. La région devint connue pour la construction du barrage de Nourek entre les années soixante et les années quatre-vingt qui est encore le barrage le plus haut du monde à nos jours et qui suffit presque à la totalité des besoins de la République en électricité.[9] Ces avantages économiques n’empêchèrent néanmoins pas une montée de mécontentement de la population tadjike envers Moscou qui était proche d’anéantir complètement la culture tadjike, exploita radicalement les ressources naturelles ce qui eut des conséquences écologiques désastreuses causant des terres incultivables et des famines et devint politiquement de plus en plus instable. La politique de Glasnost et Perestroïka ouvrit la porte aux rébellions de Douchanbé en 1990 lors desquelles la république proclama sa souveraineté le 24 août 1990. Le 9 septembre 1991, le président du Parlement appelé Qadriddin Aslonov, après avoir interdit toutes les activités du Parti communiste en place, fit proclamer l’indépendance du pays avant que l’Union soviétique se soit écroulée définitivement vers la fin de la même année.

     

    IV.             LES DÉFIS DU TADJIKISTAN POSTSOVIÉTIQUE

     

    La joie de la nouvelle liberté ne durera pas longtemps. Seulement deux semaines après la proclamation d’indépendance, le gouvernement en place fut renversé par le conservateur Rakhmon Nabiyev, l’ancien secrétaire général du Parti communiste qui devint officiellement premier ministre le 24 novembre 1991. Mais ce retour en arrière fit éclater des combats entre les procommunistes soutenues par Moscou qui ne voulut pas entièrement perdre son rayon d’influence et les démocrates islamistes qui se radicalisèrent. Lorsque Nabiyev fit armer des milices de l’ethnie procommuniste Kouliabi, celle-ci tenta d’éradiquer les milices de l’ethnie islamiste de Pamiri et ce fut le début d’une guerre civile sanglante avec des légères tendances génocidaires. Cette guerre se déroula officiellement pendant cinq ans et un mois. Les communistes réussirent à repousser les démocrates islamistes organisés au sein du Centre de coordination des forces démocratiques ou du Parti démocratique du Tadjikistan, les nationalistes appelés Rastokhez, les séparatistes nommés Lal-i Badakshan et les islamistes des ethnies Pamiri et Gharmi organisées au sein du Parti de la renaissance islamique.[10] Des mouvements de guérilla se formèrent dans de divers exils et le Gorno-Badakhchan devint une province autonome dominée par les rebelles islamistes. Sous toutes ces pressions, Nabiyev abdiqua également et fut remplacé par Akbarsho Iskandarov, l’ancien porte-parole du soviet suprême. Après trois mois, des batailles pour la capitale Douchanbé provoquèrent l’absence définitive du gouvernement et le Tadjikistan se trouva sans présidence officielle pendant deux ans et plusieurs projets de rédaction d’une constitution échouèrent. Ce fut l’apogée sanglante de la guerre civile. Ce ne fut que lorsque les procommunistes reprirent leurs forces et qu’une intervention des Nations Unies en 1993 mit en place un cessez-le-feu fragile qu’une élection et un référendum se tinrent simultanément en novembre 1994. Ce fut Emomalii Charifovitch Rahmonov, un Kouliabi à la tête du gouvernement officieux depuis l’échec d’Iskandarov qui avait commencé sa carrière politique au sein du régime soviétique en matière d’économie et d’agriculture, qui prit le pouvoir et prôna la réconciliation nationale. À l’aide des Nations Unies, il rencontra les différentes forces rebelles à des endroits neutres tels que Moscou, Téhéran, Islamabad et enfin Almaty dans le but d’unir le pays et de créer une identité tadjike à l’image de l’Empire des Samanides. Ce n’était que grâce à l’intervention militaire continue des Nations Unies et surtout de la Russie qui craignit une poussée islamiste que le gouvernement kouliabi autour de Rahmonov fut en mesure de signer un accord de paix avec les forces rebelles le 23 décembre 1996 à Moscou qui ne fut officialisé que le 27 juin 1997. C’était la fin officielle de la guerre civile, mais plusieurs tensions et querelles eurent encore lieu et la paix sembla être peu stable. Peu à peu, les guérillas oppositionnelles décidèrent d’affronter le pouvoir en place par la voie politique au sein du gouvernement et non par la voie de la résistance armée et le terrorisme. Rahmonov gagna les élections présidentielles en 1999 et encore une fois en 2006 ce qui découragea certaines parties de l’opposition de s’impliquer politiquement et qui recoururent de nouveau à la violence sauf que ces actes eurent un moins grand impact car le gouvernement autour de Rahmonov avait profité du temps pour se stabiliser un peu plus. Malgré que l’opposition et les observateurs internationaux estiment que les élections aient pu être truquées, son règne continu amena finalement un certain niveau de stabilité politique au pays.

     

    Selon certains historiens, il y a aussi un autre point de vue à considérer que les conflits purement ethnico-religieux et idéologiques lorsqu’on parle de la guerre civile tadjike. Selon Jean-Luc Racine, «les camps en présence opposent moins des ethnies telles que les Ouzbeks, Tadjiks ou Pamiris encore une fois toutes subdivisées, que des groupes tadjiks localisés ayant des intérêts concurrents.»[11] Le pays étant devenu subitement un État de l’arrière-cour négligée par la politique internationale et largement sous-développé socio-économiquement fut également bouleversé par les nombreuses déclarations d’indépendance des pays avoisinants qui se firent presque simultanément et des fortes vagues migratoires. Selon les chiffres officiels, un demi-million de Tadjiks se réfugia à l’extérieur du pays durant la guerre et l’opposition triple même ce chiffre tandis que la multitude de la main-d’œuvre appartenant à des ethnies étrangères et minoritaires vivant au Tadjikistan se dépêchèrent de quitter le pays instable au plus vite ce qui créa une crise économique avec un taux de chômage atteignant durant les périodes les plus dures plus que cinquante pourcent.

     

    Les instabilités permanentes en Afghanistan n’amenèrent non seulement un mouvement islamiste plus fort dans le pays, mais également le développement d’un énorme trafic de drogues organisé par les Afghans à l’aide de paysans tadjiks appauvris n’ayant souvent pas le choix d’accepter à cultiver de l’opium afin de nourrir leurs familles. Malgré un contrôle plus sévère des frontières grâce au soutien des Nations Unies et surtout des États-Unis, la corruption fait toujours rage dans le pays appauvri et le trafic de drogues a même augmenté au cours des dernières années. En plus de cela, la géographie tadjike comportant des larges chaînes de montagnes abordant environ une frontière de 1400 kilomètres partagés avec l’Afghanistan est en faveur de la contrebande et difficile à sécuriser.[12]

     

    À cause de toutes ces instabilités, beaucoup de fermiers ou travailleurs urbains tadjiks partirent principalement travailler en Russie et abandonnèrent leurs familles au Tadjikistan qui dépendaient de leurs transactions monétaires souvent irrégulières. Certains hommes profitèrent de l’occasion pour tourner complètement le dos à leur patrie et s’installèrent de manière permanente en Russie et se marièrent souvent de nouveau. Ceci créa un manque de main-d’œuvre au Tadjikistan et une émancipation forcée des femmes qui effectuèrent ainsi les travaux de leurs maris exilés. Afin de suffire aux besoins fondamentaux, les enfants de ces nouvelles veuves tadjikes ne fréquentèrent plus régulièrement l’école afin d’effectuer des tâches agricoles. Mais il y a également un danger plus écologique pour l’agriculture tadjike. Les nombreux glaciers dans les chaînes Pamir et Trans-Alaï fondent progressivement ce qui résulte d’un réchauffement de la température moyenne annuelle d’un degré et demi durant seulement une décennie. L’approvisionnement en eau potable est ainsi menacé et l’eau insalubre cause déjà des maladies telles que le typhus, l’hépatite et la diarrhée dans les campagnes qui manquent de soins sociaux et médicaux. Des inondations et précipitations provoquant des glissements de terrain constituent un autre danger considérable.

     

    Tandis que le président Rahmonov souligne son désir de contrer tous ces problèmes par le renforcement de l’identité nationale tadjike en changeant son nom d’origine soviétique Emomalii Charifovitch Rahmonov en un Emomalii Rahmon plus tadjik, les adeptes du panturquisme ayant déjà mené une politique d’apartheid à l’égard de leurs congénères tadjiks dans la République de Boukhara qui fut seulement arrêtée par la révolution bolchevique nient l’existence d’une nation tadjike. Ceci est juste un exemple parmi tant d’autres que le pays est encore loin d’être uni et d’avoir résolu toutes les hostilités de la guerre civile.

     

    V.                CONCLUSION

     

    Pour en conclure, le Tadjikistan a toujours été une nation hautement dispersée à travers le Moyen Orient. C’est une nation qui avait été marquée par des forces impérialistes au niveau de la prospérité économique, l’émergence culturelle et la prépondérance de la religion au sein de l’état. Encore à nos jours, une grande partie du peuple tadjike et une bonne partie des villes historiques telles que Samarkand et Boukhara ne se situent pas sur le territoire tadjik et nuisent au rêve de l’identité nationale commune qui ne sera d’ailleurs probablement jamais reconnu par les minorités radicalisées. Les nombreuses ethnies différentes au sein du territoire actuel, les nombreux tadjiks exilés, une guerre civile longue et sanglante, une économie qui est une des plus faibles de l’ancienne Union soviétique et un territoire morcelé et difficile à gérer qui est également touché par des changements climatiques et problèmes écologiques profonds font du territoire tadjik et des nations avoisinantes subissant un sort comparable une poudrière comparable avec celle des Balkans en Europe durant le vingtième siècle. Il n’y a pas d’amélioration en vue car une forte poussée islamiste, un trafic de drogues de plus en plus accentué et une instabilité grandissante au Moyen Orient au sein des pays comme l’Afghanistan et l’Iraq constituent de nouvelles problématiques émergentes auxquelles la jeune république doit faire face. Le pouvoir gouvernemental est assuré par un régime jugé dictatorial par les observateurs internationaux orienté au système soviétique ainsi que par la présence des Nation Unies et particulièrement par le soutien militaire russe et par le soutien monétaire américain. Mais on ne peut pas parler d’une véritable autonomie, unité ou démocratie au sein du pays déstabilisé.

     

    Le risque que la situation au Tadjikistan se détériore est omniprésent, par exemple lorsque les Nations Unies quitteront l’Afghanistan qui exerce déjà une influence négative sur son jeune pays voisin ou lorsque la Russie perdra son intérêt à protéger le Tadjikistan à cause des nombreux autres enjeux politiques du pays ou encore lorsque le président Rahmon et son gouvernement subiront un putsch ou lorsqu’il décédera tout simplement. Il y a sans aucun doute encore un chemin très long et dur à faire avant que le pays puisse finalement obtenir la stabilité, l’unité et la reconnaissance internationale qu’il désire en grandes parties.

     

     

    Bibliographie

     

    Ouvrages généraux

     

    Auzias, Dominique, Jean-Paul Labourdette, Hervé Kerros et Patricia Chichmanov, Asie centrale : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Paris, Nouvelles Éditions de l’Université, 313 pages et Nancy, Petit Futé, 2007 (réédition et actualisation en 2010), 366 pages.

     

    Balbi, Adriano, Abrégé de géographie, Paris, Éditions Libraire Jules Renouard, 1833, 1361 pages.

     

    Balencie, Jean-Marc et Arnaud de La Grange, Mondes rebelles : L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques, Paris, Éditions Michalon, 2001, 1677 p.

     

    Bosworth, Clifford Edmund, Les dynasties musulmanes, Arles (France), Actes Sud, collection Sinbad, 1996, 334 pages.

     

    Brechna, Habibo, Die Geschichte Afghanistans: das historische Umfeld Afghanistans über 1500 Jahre (en français: L’histoire de l’Afghanistan: l’entourage historique à travers 1500 ans), Zurich (Suisse), vdf Hochschulverlag AG, 2005, 448 pages.

     

    Erl, Stefan, Tadschikistan 1992-1997 – Ursachen und Verlauf einer menschlichen Tragödie (en français: Tadjikistan 1992-1997 – Causes et déroulement d’une tragédie humaine), Munich et Ravensbourg, GRIN Verlag, 2007, 52 pages.

     

    Gorshenina, Svetlana et Sergej Asbasin, Le Turkestan russe: une colonie comme les autres?, Éditions Complexe, Groupe Vilo, Paris, Édition de 2010, 548 pages.

     

    Henrard, Guillaume, Géopolitique du Tadjikistan : Le nouveau grand jeu en Asie centrale, Paris, Éditions Ellipse, 2000, 120 pages.

     

    Juneau, Thomas, Gérard Hervouet et Frédéric Laserre, Asie centrale et Caucase : une sécurité mondialisée, Saint-Nicolas, Les Presses Université Laval, 2004, 242 pages.

     

    Karam, Patrick, Asie centrale, le nouveau grand jeu : l’après- 11 septembre, Paris, Éditions L’Harmattan, 2002, 322 pages.

     

    Kaziev, Shapi Magomedovitch, Crash of tyrant: Nadir Shah, Makhachkala, Éditions Epoch, 2009, 416 pages.

     

    Louknitski, Pavel, Le Tadjikistan soviétique, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1954, 246 pages.

     

    Schär, Philipp, Daniel Wunderli et Flavio Kaufmann, Die Wahrnehmung des US-amerikanischen Einflusses in den ehemaligen Sowjetrepubliken (en français: La perception de l’influence états-unienne dans les anciennes républiques soviétiques), Munich et Ravensbourg, GRIN Verlag, 2007, 76 pages.

     

     

     

    Périodiques

     

    Avioutskii, Viatcheslav, La crise du Tadjikistan, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 145 à 176, 250 pages.

     

    Buisson, Antoine, Ismoil 1er et la dynastie des Samanides, des mythes fondateurs, France, Le Courrier des pays de l’Est, 2008/3, no. 1067, pp. 28 à 33, nombre de pages inconnu.

     

    Hohmann, Sophie, Sophie Roche et Michel Garenne, The changing sex ratios at birth during the civil war in Tajikistan: 1992-1997 (en français: Les rapports de sexe-ratio à la naissance durant la guerre civile au Tajikistan : 1992 – 1992), Bethesda, Maryland (National Institues of Health), International Journal of Biological Science, Ivyspring International Publisher, 2010, vol. 42, no. 6, pp. 773 à 786, nombre de pages inconnu.

     

    Racine, Jean-Luc, Le cercle de Samarcande: géopolitique de l’Asie centrale, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 6 à 43, 250 pages.

     

    Rousselot, Hélène, Tadjikistan 2006 : Le grand jeu du Président, Paris, Le Courrier des pays de l’Est (la documentation française), 2007, no. 1059, pp. 175 à 186, nombre de pages inconnu.

     

    Rousselot, Hélène, Tadjikistan 2007 : Détérioration sociale malgré l’aide internationale, Paris, Le Courrier des pays de l’Est (la documentation française), 2008, no. 1065, pp. 160 à 169, nombre de pages inconnu.

     

     

     

    Sites Internet

     

    Affaires étrangères et Commerce international Canada, Centre d’apprentissage interculturel – Information culturelle sur le Tadjikistan, Ottawa, Canada, lien direct: http://www.intercultures.ca/cil-cai/ci-ic-fra.asp?iso=tj (consulté le 16 avril 2011).

     

     

     

    Leclerc, Jaques, L’aménagement linguistique dans le monde – Tadjikistan, Trésor de la langue française au Québec à l’Université Laval, 2011, lien direct:  http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/tadjikistan.htm (consulté le 17 avril 2011).

     

     

     

    Matériel audiovisuel 

     

    Von Nahmen, Alexandra, Tadschikistan, Rückzugsraum für Islamisten (en français: Le Tajikistan, retraite des islamistes), Berlin, Deutsche Welle, 2010, 9 minutes et 17 secondes.

     



    [1] Affaires étrangères et Commerce international Canada, Centre d’apprentissage interculturel – Information culturelle sur le Tadjikistan, Ottawa, Canada, lien direct: http://www.intercultures.ca/cil-cai/ci-ic-fra.asp?iso=tj (consulté le 16 avril 2011).

    [2] Buisson, Antoine, Ismoil 1er et la dynastie des Samanides, des mythes fondateurs, France, Le Courrier des pays de l’Est, 2008/3, no. 1067, pp. 28 à 33, nombre de pages inconnu.

     

    [3] Balbi, Adriano, Abrégé de géographie, Paris, Éditions Libraire Jules Renouard, 1833, 1361 pages. 

    [4] Kaziev, Shapi Magomedovitch, Crash of tyrant: Nadir Shah, Makhachkala, Éditions Epoch, 2009, 416 pages.

    [5] Brechna, Habibo, Die Geschichte Afghanistans: das historische Umfeld Afghanistans über 1500 Jahre (en français: L’histoire de l’Afghanistan: l’entourage historique à travers 1500 ans), Zurich (Suisse), vdf Hochschulverlag AG, 2005, 448 pages.

    [6] Gorshenina, Svetlana et Sergej Asbasin, Le Turkestan russe: une colonie comme les autres?, Éditions Complexe, Groupe Vilo, Paris, Édition de 2010, 548 pages.

    [7] Avioutskii, Viatcheslav, La crise du Tadjikistan, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 145 à 176, 250 pages.

    [8] Leclerc, Jaques, L’aménagement linguistique dans le monde – Tadjikistan, Trésor de la langue française au Québec à l’Université Laval, 2011, lien direct:  http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/tadjikistan.htm (consulté le 17 avril 2011).

    [9] Louknitski, Pavel, Le Tadjikistan soviétique, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1954, 246 pages.

    [10] Balencie, Jean-Marc et Arnaud de La Grange, Mondes rebelles : L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques, Paris, Éditions Michalon, 2001, 1677 p. 

    [11] Racine, Jean-Luc, Le cercle de Samarcande: géopolitique de l’Asie centrale, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 6 à 43, 250 pages.

    [12] Von Nahmen, Alexandra, Tadschikistan, Rückzugsraum für Islamisten (en français: Le Tajikistan, retraite des islamistes), Berlin, Deutsche Welle, 2010, 9 minutes et 17 secondes

     

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