by Sebastian Kluth
Le présent travail de session a pour but d’examiner de plus près les gens d’affaires du dix-neuvième siècle à l’exemple de la famille Price, qui a principalement agi dans la région saguenéenne dès 1842 avec l’achat de la «Société des 21» au Saguenay par William Price et loin jusqu’au vingtième siècle. J’aimerais examiner cette époque pionnière de la région en analysant un total de quinze contrats de vente ou d’achat de terre avec la participation de William Price ou plus tard la «William Price and Sons» et après sa mort en 1867 la «Price Brothers and Company», composée de ses trois fils William Evan, Evan John et David Edward Price et menée plus tard par Sir William Price.
Afin de trouver quinze contrats qui démontrent bien le développement de la région saguenéenne et l’ascension de l’empire autour de William Price, je me suis rendu aux Archives nationales du Québec à Chicoutimi. J’y ai examiné près de cinquante contrats d’achats et de ventes en microfiches pour en choisir quinze. J’ai choisi neuf contrats rédigés par le notaire Ovide Bossé et cinq contrats rédigés par Thomas Z. Cloutier, y inclus un contrat de double-vente assez complexe. Les contrats concernés traitent une période de quarante-quatre ans, du premier contrat choisi qui date du 2 juillet 1853 jusqu’au dernier contrat datant du 21 octobre 1897. J’ai donc légèrement excédé la période d’analyse prévue de 1842 à 1880, car je voulais avoir une vue plus large sur le développement économique et régional. J’ai aussi inclus deux contrats qui traitent de ventes ou achats de terre inférieurs à cinquante acres pour observer non seulement les grands contrats, mais aussi des contrats moins significatif pour l’empire autour de William Price, mais d’autant plus important pour les destins des partenaires. En ce qui concerne les contrats, le tout dernier est fait à la machine à écrire, tandis que les quatorze autres sont rédigés à la main. Au début, j’ai éprouvé des difficultés à m’habituer à lire et déchiffrer l’écriture des deux notaires, surtout d’Ovide Bossé qui écrit d’une manière tellement chargée de fioritures que plusieurs lettres se ressemblent et peuvent être interprétées de diverses façons. En plus, malgré plusieurs essais, la qualité des microfiches imprimées n’était pas toujours idéale, car elle était souvent trop pâle ou trop sombre. Le fait que certains mots inclus dans les greffes de notaires ne font plus partie de la langue française courante était également un défi majeur durant la transcription des informations principales sur les fiches que l’on trouve dans l’annexe. Vu que le français n’est pas ma langue maternelle, il y avait même un défi supplémentaire à relever. Un autre travail détaillé et de longue durée était la transformation des unités de mesures différentes en une seule mesure que j’ai effectué pour chaque vente ou achat à la main. Le calcul des superficies ou prix moyens par rapport au quinze contrat me demandait également beaucoup de temps. Finalement, j’ai travaillé sur sept contrats où la compagnie de William Price agit en tant que vendeur et sur huit contrats où la compagnie de William Price agit en tant qu’acheteur, ce qui donne une bonne moyenne équilibrée et représentative selon mes goûts.
J’ai trouvé ce travail de session intéressant et provocant, car il m’a permis de mieux connaître le développement de la région saguenéenne et de me plonger dans une époque pionnière des hommes d’affaires et du capitalisme libéral en Amérique du Nord et plus spécifiquement au Québec qui a déjà fait allusion au système économique libéral dans lequel nous vivons aujourd’hui.
J’aimerais maintenant brièvement parler de William Price et son empire. Il est né à Hornsey en Angleterre le 17 septembre 1789. À l’âge de seulement vingt ans, il est arrivé au Canada pour la marine britannique. Peu après, il a déjà agi comme agent-acheteur de bois de construction et a décidé de rester au Canada pour y devenir un homme d’affaires indépendant en créant son entreprise «William Price and Company» en 1816. En achetant les propriétés de la «Société des 21» en juillet 1842, il a commencé à s’orienter au développement de la jeune région saguenéenne qui grandi et se développe au fur et à mesure sous sa tutelle. C’est pour cette raison que certains l’appellent même le père fondateur du Saguenay et jusqu’aujourd’hui, beaucoup de routes ou bâtiments dans la région sont nommés en son honneur. William Price s’est associé à l’homme d’affaires Peter McLeod en 1842, mais après sa mort en 1852, William Price a commencé à porter le titre de roi du bois et a ainsi développé un monopole dans ce domaine, tout en amorçant un système de ventes et achats de terre orienté à la structure anglo-saxonne. William Price a ainsi créé de nombreux emplois, mais il a également mis une grande partie de la population régionale sous sa dépendance. Il s’est plus tard associé à trois de ses fils qui ont pris son héritage lors de sa mort qui date du 14 mars 1867. Ce n’est que son petit-fils Sir William Price ou encore William Price III qui a profondément modifié la compagnie en s’orientant dès 1889 vers l’industrie papetière pour produire principalement du carton et du papier de journal qu’il fait exporter aux États-Unis. Sir William Price a ainsi ouvert plusieurs nouvelles compagnies et usines et a même fondé la ville de Kénogami en 1912. La «Price Brothers and Company» a continué d’exister jusqu’en 1974, quand elle s’est fusionnée avec «Abitibi Paper» pour devenir «Abitibi-Price». Ce dernier nom a encore changé lors d’une fusion avec «Stone-Consolidated» pour devenir «Abitibi-Consolidated» en 1997. Cette société canadienne s’est fusionnée avec la papetière «Bowater» en 2007 et existe aujourd’hui sous le nom d’«AbitibiBowater» qui a un effectif autour de 27000 malgré plusieurs problèmes économiques qui ont entraîné une série de fermeture d’usines. L’héritage de William Price a ainsi continué à exister jusqu’à nos jours.
J’aimerais par contre me concentrer sur l’époque de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle en analysant de plus près les vendeurs et acheteurs avec lesquels William Price et sa compagnie ont fait affaires. Durant mes études et lectures, j’ai remarqué que la compagnie avait plusieurs concurrents dans la région avec lesquels elle a aussi conclu des contrats. Un nom très courant est John Guay, un écuyer et marchand. J’ai même trouvé un contrat entre les deux qui date du 16 janvier 1869 et dans lequel John Guay vend la moitié d’un lot de terre d’une superficie de cinquante acres, pour le prix élevé de cent vingt-cinq piastres en comparaison avec les autres achats effectués par les frères Price, aux trois fils de William Price qui sont spécifiquement énumérés et mentionnés sur le document, ce qui montre l’importance de ce contrat. Deux autres noms qui ont souvent apparu lors de mes recherches étaient William Blackburn et Maltais Hyppolite. Je suppose alors que ces deux personnages ont également joué un rôle primordial dans la distribution des terres. Les deux écuyers présents dans les contrats examinés sont aussi les seules personnes qui ont toujours pu signer les contrats, mais la compagnie de William Price a surtout fait affaire avec des personnes peu instruites qui ne savaient souvent pas lire et ni signer. Le métier le plus courant dans la région semblait être à l’époque le travail du cultivateur qui est présent sur huit contrats. Sinon, il y avait deux journaliers travaillant pour la compagnie de Price, un conducteur de moulin, un maître charron et un forgeron. Cette étude démontre ainsi les causes du comptoir colonial de la Nouvelle-France qui s’est plus concentrée sur l’exploitation des terres que sur le peuplement. La région saguenéenne étant peu peuplée et peu instruite se laissait facilement dominer et exploiter par l’homme d’affaires anglophone William Price qui s’était concentré spécialement sur le Township de Chicoutimi, car onze sur quinze terres des contrats présents y étaient situées. Ceux qui voulaient faire partie des riches et instruits, comme par exemple Jean Guay, ont même souvent transformé leurs noms en noms plus anglophones, tels que John Guay.
En ce qui concerne les terres vendues et achetées, j’ai pu observer que la plupart des contrats se sont fait en début de l’année, surtout en janvier durant les années 1860. Si l’on regarde la liste des greffes de notaires un peu plus loin, on observe un nombre croissant d’obligations, résiliations et ratifications quelques années après ces ventes massives avant que la situation se stabilise peu à peu dans la prochaine décennie. Cela montre que la plupart des gens ne pouvaient pas accomplir les tâches imposées par la compagnie de William Price. À part des ventes des deux écuyers, on peut constater que les ventes des autres gens concernés étaient souvent dues à des dettes auprès de la compagnie. Cette compagnie a donc souvent racheté les terres qu’elle avait elle-même vendu ou loué quelques années auparavant. Il est aussi remarquable que les prix pour lesquels la compagnie a acheté les terres étaient beaucoup moins élevés que les prix qu’elle-même demandait auprès de ses acheteurs lors d’une vente de terre. Ce phénomène s’est relativisé durant les années 1880. Les prix avaient aussi considérablement augmentés durant la période observée. Les premiers contrats s’étaient souvent faits pour des prix autour de cinquante et maximalement cent piastres, tandis que les prix ont explosés dans les années 1860 et 1870 en allant jusqu’à cinq cent piastres par terre. Le prix moyen pour une terre selon les quinze contrats analysés était de 156 piastres. Tandis que la compagnie de Price avait souvent vendue des terrains vierges, elle a souvent racheté les bâtisses incluses sur les terrains lorsqu’un cultivateur faisait par exemple faillite. La compagnie de Price a ainsi reçu des biens supplémentaires pour des prix peu élevés, tandis que les vendeurs forcés perdaient tous leurs biens et avaient souvent fait des efforts de faire des constructions coûteuses sans en pouvoir profiter. Lors d’une vente de la compagnie de Price, celle-ci se gardait en plus souvent des hypothèques ou se donnait le droit de passage ou la liberté d’effectuer des constructions sur les lots vendus. On peut en constater que la compagnie de Price n’avait jamais effectué une vente totale et qu’elle avait toujours préservé des mesures de sécurité, tandis que cela n’était point possible lorsque les cultivateurs vendaient par exemple leurs terres.
Une autre preuve pour l’exploitation de la compagnie de William Price auprès la population saguenéenne est le fait qu’un ouvrier forestier ne gagnait que vingt piastres par mois. Vu que les ouvriers et journaliers engagés par la compagnie ne pouvaient souvent pas travailler plus que quatre à cinq mois par année, car il s’agissait d’un travail saisonniers à cause des hivers acharnées dans la région, ils avaient en moyenne besoin du salaire de deux ans de travail pour payer le prix moyen d’une terre, sans compter la nourriture, les vêtements ou les meubles à payer supplémentairement qui contiennent des besoins fondamentaux de la vie. Ce phénomène s’est également un peu relativisé au cours des années 1880 et 1890. En même temps, mais ailleurs au monde, un ouvrier spécialisé gagnait par contre un salaire d’environ trois cent piastres par année, ce qui est donc trois fois plus élevé que le salaire annuel pour un ouvrier engagé par la compagnie de Price. Les gens dans la région étaient ainsi sous-payés et éprouvaient d’énormes difficultés à acheter et cultiver une terre, bâtir des maisons et nourrir la famille. Le fait que la compagnie de Price se souciait peu du destin de la population saguenéenne se démarque aussi par le fait que plusieurs membres de la famille demeuraient à distance de la région, souvent dans la Cité de Québec. Tandis que les vendeurs ou acheteurs saguenéens étaient toujours personnellement présents lors de la lecture et signature des contrats, les membres de la famille Price étaient absents pour beaucoup plus environ la moitié des contrats et se laissaient souvent représenter par des agents anglophones dans les années 1880 et 1890. Lorsque William Price avait encore le contrôle sur la compagnie, il se laissait toujours représenter par un de ses fils restés dans la région et en donnait ainsi l’exemple pour le développement futur.
En conclusion, on peut constater que la présence de William Price et sa compagnie dans la région du Saguenay était primordiale pour le développement de celle-ci. L’influence et l’héritage de l’homme d’affaires anglais est encore présent à nos jours et se retrouve non seulement dans les usines d’«AbitibiBowater», mais aussi dans les nombreuses ruelles, musées et bâtisses nommés en son honneur. D’un côté, William Price a contribué à développer l’économie et la création d’emplois d’une entière région, mais d’un autre côté, le système économique anglo-saxon a éprouvé des difficultés à la population francophone peu instruite qui avait vécu assez librement sur des grands terrains peu couteux en étant des colons dans une région isolée. William a ainsi su tirer ses profits de son monopole économique et est devenu un homme riche en argent et en influence, tandis que les habitants francophones de la région avaient vécu des destins difficiles en lien avec de nombreuses faillites. On peut donc constater que la contribution de la compagnie de William Price était assez diversifiée et partagée pour la région saguenéenne.
Price et Co. agissant en tant que vendeur : 7 fois
Price et Co. agissant en tant qu’acheteur : 8 fois
Tableau 1. Origine sociale des vendeurs
Profession |
Nombre |
Cultivateur Écuyer Journalier Conducteur de moulin Maître charron Forgeron |
8 2 2 1 1 1 |
Tableau 2. Origine géographique des acheteurs / vendeurs autres que Price et Co.
Lieux |
Nombre |
Township / Comté / Canton / Paroisse de Chicoutimi Canton de Bagot / Paroisse de Saint Alphonse Township de Laterrière St Anne |
11
2
1 1 |
Tableau 3. Instruction des acheteurs / vendeurs autre que Price et Co.
Profession |
signe/ne sait signer |
Cultivateur (8) Écuyer (2) Journalier (2) Conducteur de moulin Maître charron Forgeron |
4 / 4 2 / 0 0 / 2 0 / 1 0 / 1 1 / 0 Total : Signe (7), ne sait signer (8) |
Tableau 4. Regard sur les terres vendues / achetées
Lieux (cantons) |
Nombre de terres par canton |
Superficie totale par canton (acres) |
Prix total par canton |
(Township de) Chicoutimi
Simard
Paroisse de Saint Adolphe
Township de Laterrière |
10
2
2
1
|
58,5 acres
Inconnue 58,5 acres Environ 20 acres 50 acres 12 acres 50 acres 77 acres Inconnue Incertaine
50 acres 100 acres
21 acres et 34 perches, 18 acres et 20 perches + 40 acres et 19 perches, 38 acres, 2 roods et 14 perches
50 acres
|
50 piastres et 14 sous
100 piastres 50 piastres 20 piastres 267 piastres 60 piastres 200 piastres 500 piastres 60 piastres 260 piastres
125 piastres 100 piastres
770 piastres (au total)
90 piastres
|
Tableau 5. Modalités de paiement
Prix de chaque terre |
Paiement de chaque terre |
Remboursement du solde |
50 piastres et 14 sous 100 piastres 50 piastres 20 piastres 90 piastres 267 piastres 125 piastres 60 piastres 200 piastres 500 piastres 770 piastres (4 terres) 60 piastres 260 piastres 100 piastres |
comptant/ balance 50 piastres et 14 sous, 100 piastres, 20 piastres, 267 piastres, 125 piastres, 8 piastres et 66 sous, 500 piastres, 770 piastres, 60 piastres , 200 piastres / 50 piastres, 90 piastres (flexible), 60 piastres, 200 piastres, 60 piastres, 100 piastres |
Garanties Terrain comme garantie (6), Bâtisses sur le terrain (1), Déclaration de solidarité de tous troubles (1), Paiements supplémentaires par rapport au terrain acheté (1), Droits de passage et d’exploitation (1) Intérêt 6 %, 6%, 7%, 6%, 7% (en cas de retard) période (en mois) 36 mois, 11 mois, 36 mois, 48 mois, 14 mois, 36 mois, 60 mois |
Grand total 2652 piastres et 14 sous Prix moyen 156 piastres |
comptant (montant total) et % 2100 et 80 sous (78, 95 % de tous les paiements) balance (montant total) et % 560 piastres (21, 05% de tous les paiements) |
garanties générales 10 intérêt moyen 6,4 % période moyenne (mois) 34,43 mois |
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Graphique 1. Années des mutations
Nombre de cas |
Années 1850-1859 : 5 cas Années 1860-1869 : 2 cas Années 1870-1879 : 1 cas Années 1880-1889 : 4 cas Années 1890-1899 : 3 cas Années 1850-1859, 1860-1869 .... |
Graphique 2. Périodes de l'année (mutations)
Nombre de cas |
Janvier : 6 cas Février : Aucun cas Mars : Aucun cas Avril : Aucun cas Mai : 1 cas Juin : 1 cas Juillet : 1 cas Août : 1 cas Septembre : 1 cas Octobre : 2 cas Novembre : Aucun cas Décembre : 2 cas Mois 01 02 03 04 05 06 07 08 09 10 11 12 |
Cadastre |
Lieux des mutations
Township de Chicoutimi : 10 cas
Canton Simard : 2 cas
Paroisse de Saint Adolphe : 2 cas
Township de Laterrière : 1 cas |