by Sebastian Kluth
Jeanne d’Arc : Une mise en contexte
Lorsque l’on tente de présenter brièvement la vie et le personnage de Jeanne d’Arc, seulement appelée de ce nom à partir de 1576 par un poète d’Orléans et se faisant simplement appeler Jehanette dans son village, on doit déjà commencer avec une incertitude qui est son nom. Dans certains documents, son père était appelé Jacques d’Arc, mais on n'en peut pas être absolument certain, car dans les manuscrits de l’époque, les -c sont écrits très semblables aux -e et aux –t et on les méprend alors assez souvent[1]. Une plus grande incertitude est d’ailleurs sa date de naissance. Durant les procès de Rouen en 1431, on transmet que la jeune pucelle aurait 18 ou 19 ans, une autre source la donne née le jour de l’Épiphanie, qui était à l’époque soit le 5 ou 6 janvier, sans préciser l’année exacte, mais on suppose aujourd’hui généralement qu’il s’agit de l’année 1412. Mais si l’on regarde plus loin dans la vie de Jeanne d’Arc, on tombe sur le procès matrimonial intenté par son fiancé et ses parents en 1428. Lors de ce procès, Jeanne d’Arc se présenta seule et refusa de se marier, mais selon le droit local elle aurait dû être majeure de 20 ans et alors émancipée de la responsabilité parentale. Jeanne serait-elle donc déjà née en 1408 ou même avant?
Jeanne d’Arc était née dans un monde qui se trouvait en plein milieu de la Guerre de Cent Ans, alors que la royauté française ait été de plus en plus menacée et humiliée par les Anglais et leurs alliées bourguignons et alors que l’Église catholique ait été affaiblie par trois papes qui revendiquaient à leur tour le contrôle de la Chrétienté européenne avant qu’un grand concile ait élu un quatrième pape supérieur à tous et ait mis une fin au Grand Schisme. Le traité de Troyes, qui réglait la question de la succession au trône de France d’une manière humiliante pour les Français et qui forçait le roi de France Charles VI de marier une de ses filles avec le roi anglais pour en faire naître le futur successeur au trône en déshéritant le fils légitime du roi de France, mit seulement fin aux hostilités sanglantes pendant une courte période de temps. Elles recommencèrent déjà deux ans plus tard après la mort d’Henri V et de Charles VI. Charles VII, le fils déshérité, réclama le trône vu que le bambin Henri VI n’avait pas encore atteint l’âge de gouverner à lui seul. Lors du procès de condamnation, Jeanne d’Arc raconta qu’elle avait entendu ses premières voix environ cinq ans après la signature du traité de Troyes. Durant cette époque les Anglais étaient autant convaincus que les Français que Dieu était de leur côté et qu’il choisirait le véritable gagnant de la Guerre de Cent Ans[2]. Les voix révélèrent que Jeanne d’Arc aurait pour mission de chasser les Anglais du royaume de France et de sacrer et couronner Charles VII à Reims. Mais Jeanne d’Arc entendit-elle vraiment des voix célestes ou est-ce que ce miracle était souhaité ou même forcé par les autorités?
Durant la même époque, deux officiers étaient étonnement souvent à Domrémy et passèrent aussi par une forteresse que le père de Jeanne d’Arc contrôlait. Certains historiens supposent alors que la future héroïne nationale ait appris à faire du cheval ou à se combattre à l’aide au lieu de s’occuper des troupeaux de son père comme certains témoins le dirent lors du procès de réhabilitation, malgré que Jeanne ait nié ce fait lors de son procès de condamnation. Ses capacités militaires furent-elles donc le fruit d'un entraînement par ces officiers et non données en cadeau par Dieu?
Après deux demandes rejetées, Jeanne d’Arc s’enrôla dans l’armée du dauphin et traversa incognito les terres bourguignonnes. Accompagnée de trois ou quatre chevaliers du sire de Baudricourt, elle traversa la France occupée en plein hiver en trois semaines, camouflée par une armure et des habits d’homme qui lui facilitaient également le voyage à cheval et lui apportait un plus grand degré de protection. Elle garda cet habillement plus tard pour sortir de sa condition sociale et pour persuader les capitaines royaux de la valeur militaire et spirituelle de sa mission[3]. Elle arriva à Chinon le 8 mars 1429, mais le dauphin hésita à la recevoir. Sa belle-mère, Yolande d’Aragon, insista et arrangea la rencontre. Elle était la mère du duc de Bar, René d’Anjou et avait donc un lien direct avec la région natale de Jeanne d’Arc. Lorsque le dauphin ordonna plusieurs examens à faire avec Jeanne d’Arc, notamment en ce qui concerne sa virginité, ce fut Yolande d’Aragon qui s’en chargea personnellement. Est-ce que cette femme aurait donc forcé le destin de Jeanne d’Arc et du dauphin Charles VII en arrangeant pour des buts politiques et personnels leur rencontre. Aurait-elle-même pu mentir sur la virginité de Jeanne d’Arc?
Quoiqu’il en soit, Jeanne d’Arc rencontra le roi et cela fut un événement particulièrement étonnant. Selon la légende populaire, le dauphin se serait caché de Jeanne parmi les invités et celle-ci, guidée par ses voix, l’aurait reconnu dans la foule. Mais cette histoire est peu probable. Premièrement, on ne rencontra jamais le roi sans être préparé. On avait très certainement décrit le roi à Jeanne et indiqué comment elle devrait se comporter devant lui. En plus, il est probable que Jeanne d’Arc avait au moins vu un portrait du futur roi quelque part à Chinon. Dernièrement, Charles VII aurait aussi fait preuve d’une faiblesse indigne d’un roi en se cachant. Pourquoi a-t-on donc transformé Jeanne d’Arc en un véritable personnage de légende plus puissant que le dauphin avec des pouvoirs mystiques?
Jeanne d’Arc annonça quatre événements : la libération d’Orléans, le sacre du roi à Reims, la libération de Paris et la libération du duc d’Orléans. Le dauphin lui donna donc la permission d’accompagner l’ultime armée française à Orléans. Selon la légende, malgré une blessure de Jeanne, l’armée réussit à libérer la ville durant une bataille glorieuse. Mais en réalité, la ville ne fut jamais complètement assiégée: la voie d’accès pour les convois de ravitaillement que l’armée française aurait utilisé pour pénétrer la ville avait toujours été libre et les assiégés et les assiégeants s’échangeaient des menus services et même des musiciens. En regardant ces faits, est-ce qu’on peut vraiment parler d’un véritable siège et d’une grande bataille?
Jeanne accompagna ensuite le dauphin à Reims pour son sacre après la conquête de la ville en plein territoire bourguignon. Mais ce sacre glorieusement célébré est contestable, car certaines règles, comme la présence des douze pairs de France dont l’évêque Pierre Cauchon et le duc de Bourgogne étant alliés aux Anglais et de l’huile de la Sainte Ampoule ne furent pas respectées. Est-ce que Jeanne d’Arc était consciente que ces détails rendaient le sacre illégitime selon les usages?
Charles VII, fort de sa couronne, négocia avec l’ennemi et signa un traité de paix avec le duc de Bourgogne. Jeanne voulait d’ailleurs réaliser ses deux autres prophéties et se mit à la conquête de Paris et fit preuve de désobéissance envers son roi en attaquant avec quelques soldats étant fidèles à elle. La bataille fut un échec et Jeanne fut placée en résidence surveillée à Bourges. Le roi l’envoya par contre encore une fois sur le champ de bataille contre les forces bourguignonnes, mais les choses tournèrent mal à Compiègne en 1430 et elle fut capturée par les Bourguignons. Par la suite des choses, les Anglais achetèrent Jeanne puis la confièrent à son futur juge lors du procès de condamnation: Pierre Cauchon.
En résumant, il y a beaucoup de mystères autour de la légende de Jeanne d’Arc, qui ressemble d’ailleurs étrangement à l’histoire de Jésus Christ, incluant le futur procès, le martyre, la «résurrection» d’ailleurs contestée et la réhabilitation. On peut seulement dire avec certitude qu’elle venait de Domrémy, qu’elle entendit des voix auxquelles elle croyait fermement, qu’elle allait à la cour du dauphin et qu’elle assista aux batailles et au sacre mentionnés. Jean-François Blais dit à propos de ce sujet: «Les historiens et les auteurs de fiction ont trop longtemps misé sur le côté spectaculaire de l’histoire et ont fait preuve d’une rigueur discutable.»[4] Ce qui est d’ailleurs encore plus mystérieux que sa vie libre est le procès de condamnation qui mena à sa mort – ou peut-être pas.
Jeanne d’Arc : Son procès de condamnation
Le procès de condamnation se déroula du 9 janvier au 30 mai 1431 à Rouen. Ce procès était divisé en deux phases. Premièrement, il y avait le «processus preparatorius vel officio » ou « inquisitio ex officio » qui se termina le 25 mars. Durant cette période, l’accusée fut interrogée en sessions publiques puis devant un conseil restreint. Vint ensuite le « processus ordinarius » ou « inquisitio cum promovente » qui reprit sous forme d’articles les chefs d’accusation du promoteur de la cause et prit fin avec l’abjuration de Jeanne le 24 mai à Saint-Ouen. La seconde phase fut la « causa relapsus » qui, du 28 mai au 30 mai, conduit la Pucelle jugée hérétique au bûcher.[5] On s’entendit d’avance pour ne pas juger Jeanne d’Arc comme chef de guerre, car c'était d’abord et avant tout un symbole pour les sujets du royaume de France. Puisqu’elle légitimait ses actions par la volonté de Dieu, elle fut donc jugée par un tribunal ecclésiastique comme une hérétique. Le Père François Marie Lethel explique d’ailleurs que le procès de condamnation était d’abord de nature politique, mais qu’il s’est de plus en plus déplacé sur un terrain proprement théologique.[6]
En premier lieu, il est intéressant d'analyser les participants principaux et organisateurs du procès. Malcolm Vale constate en ce qui concerne ce sujet que «la condamnation du 30 mai 1431 fut l’œuvre d’une cour composée presque entièrement de Français.»[7] Malgré que les Français dirent souvent plus tard qu’ils avaient été sous la pression et la tutelle du régime de Lancastre, on doit constater que ce fut l’Université de Paris qui avait écrit une lettre à Philippe le Bon, duc de Bourgogne, le 25 mai 1430, dans laquelle on avertissait le duc relativement à Jeanne d’Arc, la soupçonnant véhémentement de plusieurs crimes ayant une odeur d'hérésie. L’idée d’un probable procès ecclésiastique était donc principalement évoquée et suggérée par l’Université de Paris. Les théologiens parisiens représentèrent à cette époque, depuis le décret « Haec Sancta » du Concile de Constance, une Église militante qui et infaillible se caractérisa par un pouvoir qu’elle tenait directement du Christ et qui demandait l’obéissance de la part de toute personne, quelle que soit son état ou sa dignité, même papale. L’Église militante s’adressa au pape et aux cardinaux lors du procès pour légitimer ses actions en disant que la population pourrait attribuer plus d’attention à cette nouvelle héroïne nationale qu’aux doctrines de l’Église. Cette crainte d’hétérodoxie explique aussi la raison pourquoi la papauté n’intervint point au procès. Le procès en tant que tel fut mené par Pierre Cauchon, évêque de Beauvais, qui s’était avisé que le lieu de la capture de Jeanne d’Arc fut inclus dans son diocèse et que le procès lui revint. Il avait solennellement demandé au duc de Bourgogne que la Pucelle soit remise au roi pour être livrée à l’Église. Pierre Cauchon était très proche de l’idéologie de l’Université de Paris, vu qu’il y fut pendant presque trente ans en tant qu’étudiant et plus tard en tant que recteur. Selon Bernard Guillemain, elle était pour Pierre Cauchon «une mère, au sens plénier du mot».[8] Le moment venu de juger Jeanne d’Arc, il n’entreprit rien sans l’aveu de l’Université, se conforma à ses avis et s’entoura de l’opinion des docteurs. Son jugement était donc très influencé, d’autant plus qu’il travaillait et agissait étroitement avec le duc de Bourgogne depuis 1409. Ayant une loyauté et une bonne foi envers les participants et organisateurs du procès, il accepta des irrégularités, notamment la détention de Jeanne d’Arc au château de Rouen sous surveillance anglaise au lieu d’un château ecclésiastique, car il sut que le gouvernement de Bedford, averti par deux tentations de fugues de Jeanne d’Arc avant sa vente aux Anglais, fut décidé à ne lâcher la prisonnière en aucun cas.
Cela nous amène à parler de la présence des Anglais lors du procès. Selon eux, Jeanne d’Arc fut surtout une influence psychologique lors de leur défaite à Orléans et ils la voyaient comme une sorcière dangereuse pour le roi anglais. Elle avait aussi envoyé des lettres à Henry VI et au duc de Bedford en mettant l’accent sur la sainteté de sa mission militaire, ce qui suggéra déjà aux Anglais de ne pas la traiter seulement comme une prisonnière de guerre ordinaire, mais comme une manipulatrice de la foi chrétienne. Seulement huit ecclésiastiques anglais sur les 231 juges assistèrent au procès. Seulement Maître William Hayton assista à 17 sessions et donna fréquemment des nouvelles à ses supérieurs. Celui-ci demanda d’agir d’une manière douce et juste envers la Pucelle, refusant la torture. Sa passivité traduisit le souci qu’avait le régime lancastrien de ne pas fournir des armes à ses détracteurs. Les Anglais n’agirent souvent que d’une manière indirecte en refusant par exemple de donner des vêtements de femme à Jeanne. Cette distance et passivité générale envers le procès expliqua aussi pourquoi les Anglais n’eurent pas le moindre remords à l’égard du procès.
Il faudrait aussi parler du roi Charles VII ayant eu besoin d’une héroïne pour mettre le peuple de son côté et renverser sa situation défavorable qui décida de ne pas intervenir ou assister au procès. Cela s’explique par trois aspects. Au niveau social, la jeune paysanne était devenue une figure populaire au sein du royaume du dauphin, beaucoup plus que lui qui s’était fait déshériter et humilier et qui devait son arrivée au trône à elle. La Pucelle pouvait donc nuire à son image et sa réputation. Avec la disparition de Jeanne d’Arc, il pouvait estimer que son passé humiliant pourrait également être partiellement oublié. Au niveau politique, Jeanne avait désobéi au roi et attaqué Paris sans son accord. Cela avait également montré qu’il y avait un bon nombre de soldats qui préféraient soutenir la Pucelle au lieu de leur propre roi. Pour créer des bases stables et pour se manifester comme un roi fort et intouchable, il avait intérêt à voir disparaître Jeanne d’Arc. Finalement, au niveau diplomatique, le roi avait convenu un armistice avec les Bourguignons et essaya de restructurer et stabiliser la politique en visant de mettre un terme à la guerre sanglante qui risqua d’éclater de nouveau avec l’intervention de Jeanne d’Arc.
En ce qui concerne le procès, il y a plusieurs preuves que certains aveux étaient forcés et que l’authenticité des documents historiques peut être mise en question. Les notaires enregistrèrent les interrogatoires et les réponses de Jeanne d’Arc au cours des séances pour rédiger, le jour même et donc sans aucune réflexion ou discussion interne, des comptes-rendus, consignés dans un registre qui servit à la rédaction du texte latin complet du procès, à partir duquel furent dressées cinq copies authentiques. À part de la rédaction directe, ce fut surtout la transcription du procès mené en français et transcrit en langue latine qui rendit les documents encore plus imprécis, car certaines expressions latines ont des sens et possibilités de traductions multiples. De plus, remarquons que la transcription de la plupart des questions se fit d’une manière indirecte et que les réponses de Jeanne d’Arc étaient d’ailleurs transcrites mot par mot. Les contextes de certaines questions ou les façons comment on les a posées, ne sont pas transmis. Certaines questions, comme par exemple celle où on demande à Jeanne d’Arc si elle est à jeun, semblent être hors contexte et laissent place à une certaine marge d’interprétation. Est-ce que la Pucelle n’avait par exemple pas toujours assez à manger en prison et était si affaiblie qu’elle ne pouvait pas toujours répondre aux questions et donc être mentalement influençable? De plus, dans les cinq registres qui ont été faits, on trouve des traces de grattage et de ratures à des endroits différents. Les exemplaires ne sont donc pas pareils et en tant qu'historien, il faut se demander si un registre peut être plus authentique qu’un autre. Aujourd’hui, un des cinq registres est perdu et on pourrait même supposer que ce registre avait peut-être disparu avant, parce qu’il avait dévoilé des détails sur le procès qui n’étaient pas destinés à être su par quelqu’un hors du procès. On peut constater que Jeanne d’Arc n’avait pas assez de connaissances intellectuelles et religieuses pour justifier sa foi devant des évêques et docteurs en théologie. De la part de l’Église militante, le procès peut être perçu comme «une tentative extrêmement radicale de réduction de la personne en ce qu’elle a de plus précieux, de plus sacré.»[9], en refusant par exemple de donner des habits de femme à l’accusée ou en lui interdisant d’assister à une messe et de recevoir le corps du Christ.
Jeanne avoua le 12 mars qu’elle n’avait pas parlé à un homme d’Église des voix, car elle avait perçu que les révélations ne concernaient directement qu’une mission uniquement politique et elle dit le 30 mars qu’elle ne se soumettait pas aux règles de l’Église militante en disant qu’il lui était impossible de rejeter les révélations. Elle fut depuis ce moment-là forcée à donner de plus en plus de détails. Sous la pression, elle inventa que les voix qu’elle avait toujours décrites comme neutres et sans apparences physiques représentaient certains saints. Le 24 mai, elle abjura, encore selon Lethel, probablement après de nombreuses tortures par le feu, qu’elle avait seulement inventé les voix. Cependant, l’adhésion de la Pucelle à ses voix était tellement forte et représentante d'une sorte de salut éternel pour elle, qu’elle donna sa réponse mortelle le 28 mai en désavouant complètement son abjuration, adhérant de nouveau à ses révélations. Les juges trouvèrent ainsi par cet aveu de mensonge leur raison pour condamner la Pucelle. Le 29 mai, elle se rétracta et ôta la robe qu’elle avait été obligée de mettre pour reprendre ses habits d’homme, une provocation scellant définitivement son destin. Elle fut livrée aux Anglais et exécutée.[10] Pour bien finaliser son procès, Pierre Cauchon et le vice-inquisiteur firent encore comparaître, le 7 juin, sept témoins qui affirmèrent que le matin même de l’exécution, Jeanne d’Arc avait renié ses voix, mais après l’étude du sujet, il est improbable que ces témoins avaient dit la vérité.
Pourtant, il y a même des mystères autour de son exécution. Malgré que de nombreux peintres classiques aient falsifié l’histoire en dessinant la Pucelle sur le bûcher devant une foule essentiellement villageoise, on sait aujourd’hui que la tête de la Pucelle fut cachée et que plusieurs centaines de soldats surveillèrent les lieux. Certains historiens supposent alors qu’une autre personne avait pris la place de l’accusée et que le procès avait seulement été une mise en scène. Malgré plusieurs preuves qu’une deuxième Jeanne d’Arc réapparut ou ressuscita, ce qui se manifeste par exemple par des témoignages de plusieurs membres de famille de la Pucelle et le fait que même le roi Charles VII de France donna une audience à une prétendue Jeanne d'Arc, cette thèse est restée peu populaire et peu explorée.
Ce qui est d’ailleurs indéniable après toutes ces preuves et l’analyse du contexte politique, religieux et social, c'est le fait que le procès de condamnation fut mené d’une telle manière que le jugement final ne pouvait être que défavorable pour Jeanne d’Arc qui était devenue une cible d’enjeux idéologiques et politiques, s’étant mêlée d’affaires d’une telle importance qu’elle en perdait le contrôle.
Le chemin de la réhabilitation
Presque tout de suite après la reprise de Rouen, lieu où se sont déroulés les événements entourant la condamnation et la mort de Jeanne, Charles VII prend en main de faire avancer les choses et demande qu'on se penche sur la question d’une possible réhabilitation. Guillaume Bouillé, conseiller du roi et doyen de la cathédrale de Noyon, reçoit la charge d'entendre des témoins et de rassembler de l'information sur la condamnation. Dès le début de mars 1450, ce dernier reçoit sept figures importantes dans le premier procès et les interroge: Jean Toutmouillé, docteur en théologie; Ysambart de La Pierre, l'un des principaux assesseurs du procès; Martin Ladvenu, confesseur et conducteur de la Pucelle en ses derniers jours; Guillaume Duval, docteur en théologie; Guillaume Manchon, greffier au procès de Jeanne d’Arc, Jean Massieu, jadis doyen de la chrétienté et Jean Beaupère, docteur en théologie, ce dernier ayant joué un rôle d'envergure dans la procédure de Cauchon. Cependant, il semblerait que Bouillé ait arrêté l'avancée de l'enquête[11], même considérant que certains autres témoins ayant joué un rôle important dans le procès de condamnation auraient pu être entendus.
On peut considérer son travail incomplet comme une démonstration d’une certaine légèreté marquant le traitement de certains points de la procédure de réhabilitation. A-t-on voulu passer sous silence certains aspects du passé en se rapprochant d’une manière hésitante d’un procès qui n’a réellement commencé que cinq ans après?
Un travail énorme pour réhabiliter la Pucelle de France est réalisé par Jean Brehal et le procureur Prévosteau. Ce dernier recueille de nombreux témoignages, se rend dans plusieurs villes pour s'informer et s'instruit de l'opinion de plusieurs docteurs. Joseph Fabre considère Brehal comme «l'âme de toute la procédure». C'est lui qui, pour reprendre les mots de Fabre, assemble et formule tous les motifs de la sentence définitive.[12] Grâce aux efforts de ces hommes, on a disculpé Jeanne de ses accusations. On déclare qu'elle ne s'est pas trompée sur le fait d'avoir reçu conseil de voix divines. Elle aurait entendu ces voix venues d'en haut parce que sa virginité, son intégrité, son humilité et sa piété l'en rendaient, disait-on, digne. Il est aussi dit que cette intervention divine s'explique par le fait que la France était pour ainsi dire, au fond du baril et que Dieu a voulu intervenir pour changer les choses. Le fait que Jeanne ait quitté la maison paternelle figurait parmi ses torts et elle en fut également déculpabilisée puisqu'elle avait désobéi à ses parents seulement que pour obéir à Dieu. Concernant ses prédictions, Jeanne est également innocentée: on dit qu'elle était de bonne foi et à preuve, on souligne que la plupart se sont réalisées. Pour ce qui est du port des vêtements d'homme, cet élément d'accusation ayant ulcéré les acteurs du procès de sa condamnation, on déclare que cela n'a pas été à l'encontre des règles canoniques et des exemples des saints. La pureté de ses intentions la justifie, dit-on. Il est déclaré que c'est à tort qu'on a accusé Jeanne d'indocilité envers l'Église: elle a eu de justes craintes à l'égard d'hommes d'Église, mais a manifesté sa soumission au pape et au concile. Bref, Jeanne est pleinement réhabilitée, mais pourquoi y a-t-on mis autant d'énergie? N'était-ce pas là pour l'Église la reconnaissance d'un grand tort que de revenir sur ces graves accusations et de les lever? Pour comprendre la raison de cette volte-face surprenante, il est nécessaire de considérer le contexte différent dans lequel ont été mené les deux procès ainsi que les motivations des acteurs derrière ces événements. Grâce aux changements survenus entre temps, les gens de l'époque ont pu porter un regard nouveau sur la supposée hérétique suppliciée à Rouen.
En 1455, la guerre de Cent Ans est terminée depuis environ deux ans et s'est soldée par une victoire française. Les Anglais défaits, la fierté française est de retour. La monarchie s'en sort renforcée. Pour appuyer ce pouvoir grandissant et cette fierté nationale naissante, il semble que redorer le blason d'une ancienne héroïne patriotique et de la montrer en personne de grande qualité semble tout à fait approprié. Qui plus est, le roi a tout avantage à ce que la personne dont il tient sa couronne soit bien vue. D'autre part, le totalitarisme ecclésiastique prévalait lors de l'époque de la condamnation de Jeanne d'Arc. Cette situation de pouvoir énorme et d'infaillibilité dont l'Église dite militante jouissait s'est effritée avec le temps. On peut donc plus facilement entreprendre la révision du jugement de culpabilité de Jeanne d'Arc, d'autant plus que certains éléments en sont maintenant caducs puisque l'Église n'a plus les mêmes dispositions qu'alors. Comme lors du procès de condamnation, on voit que les enjeux politiques, sociaux et religieux ne sont pas absents du décor des événements.
Le procès de condamnation avait déjà fait l'objet d'une déclaration du rapporteur Manchon qui l'avait jugé, dix ans après y avoir travaillé, mal traduit et même mensonger. On aurait selon lui tenté d'aggraver, par ces moyens peu honnêtes, la réputation, l’influence et le destin de Jeanne. La validité juridique de ce même procès sera aussi remise en doute plus tard.[13] Dans la révision, on tient rigueur à Pierre Cauchon qu'on accuse d'avoir manifesté envers l'accusée une «partialité monstrueuse». Ledit juge Cauchon aurait dû, selon les conclusions de la révision du procès, «tenir compte des protestations de Jeanne récusant son juge et faisant appel au pape.» L'empressement qu'il a eu dans les démarches pour remettre Jeanne aux Anglais est également vu comme un signe de son inacceptable partialité. Lumière est faite sur certains aveux de Jeanne qu'on a découvert comme ayant été forcés par la torture. Toutes ces accusations jugées injustifiées, ces procédures incorrectes qu'on a découvertes et toutes les autres critiques que s'est attiré le procès de condamnation font qu'il est finalement presque complètement réfuté.
Conclusion
En terminant, l'histoire peu commune de Jeanne d'Arc en fait un personnage historique très intéressant. Les incertitudes concernant sa vie, son destin unique, le procès douteux qui l'a condamnée, sa prétendue réapparition et sa réhabilitation révèlent que le procès n'était pas des plus neutres et laissent penser que des intérêts politiques et ecclésiastiques ont fortement intervenu dans l'histoire et ont orienté le jugement final. Chose est sûre, par ses agissements et son histoire hors du commun, Jeanne est devenue et reste comme une figure patriotique française importante, si l’on pense par exemple à sa canonisation en 1920 qui arrive l'année même où le traité de Versailles entre en vigueur, redonnant l'Alsace-Lorraine (d'ailleurs terre natale de Jeanne la Pucelle) à la France et où des circonstances politiques, ecclésiastiques et sociales ont encore joué un rôle déterminant.
[1] BLAIS, Jean-François, L’affaire Jeanne d’Arc, Oriflamme – Le magazine médiéval du Québec, Volume 10, Montréal, août 2003, 55 pages
[2] MEISSONNIER, Martin, Jeanne d’Arc – la contre-enquête – vraie Jeanne, fausse Jeanne, Strasbourg, arte (télévision franco-allemande), 2008
[3] MICHAUD-FRÉJAVILLE, Françoise, Un habit «déshonnête» - Réfléxions sur Jeanne d’Arc et l’habit d’homme à la lumière de l’histoire du genre, Paris, Institut historique allemand, Francia 34/1, 2007
[4] BLAIS, Jean-François, L’affaire Jeanne d’Arc, Oriflamme – Le magazine médiéval du Québec, Volume 10, Montréal, août 2003, 55 pages
[5] FRAIKIN, Jean, Notice des sources du procès de condamnation de Jeanne d’Arc, dans le Colloque d’Histoire Médiévale, Orléans 1979, Jeanne d’Arc – Une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, 301 pages
[6] LETHEL, Père François Marie, La soumission à l’Église militante: un aspect théologique de la condamnation de Jeanne d’Arc dans Colloque d’Histoire Médiévale, Orléans 1979, Jeanne d’Arc – Une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, 301 pages
[7] VALE, Malcolm, Jeanne d’Arc et ses adversaires: Jeanne, victime d’une guerre civile, dans le Colloque d’Histoire Médiévale, Orléans 1979, Jeanne d’Arc – Une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, 301 pages
[8] GUILLEMAIN, Bernard, Une carrière: Pierre Cauchon, dans le Colloque d’Histoire Médiévale, Orléans 1979, Jeanne d’Arc – Une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, 301 pages
[9] LETHEL, Père François Marie, La soumission à l’Église militante: un aspect théologique de la condamnation de Jeanne d’Arc dans le Colloque d’Histoire Médiévale, Orléans 1979, Jeanne d’Arc – Une époque, un rayonnement, Paris, Éditions du CNRS, 1982, 301 pages
[10] KENNEDY, Susan, Les 1001 jours qui ont changé le monde, Montréal, Éditions du Trécarré, 2009, 960 pages
11 MAROT, Pierre. Documents et recherches relatifs à Jeanne la Pucelle,Textes établis, traduits et annotés par Paul Doncoeur et Yvonne Lanhers, Revue d'histoire de l'Église de France, 1956, vol. 42, n° 139, pp. 261-264. [En ligne] (Page consultée le 30 mars 2010)