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by Sebastian Kluth

14. Compte rendu critique du documentaire "Paysages fabriqués" (Titre original: "Manufactured landscapes") (07/04/11)

 

Le compte rendu critique suivant porte sur le documentaire canadien «Paysages fabriqués». Datant de 2006, le documentaire d’environ quatre-vingt-six minutes réalisé par Jennifer Baichwal accompagne pendant plusieurs mois et à plusieurs reprises le photographe Edward Burtynsky qui part pour découvrir les phénomènes en lien avec l’essor économique chinois. Le but du documentaire est de montrer les changements planétaires illustrés à l’exemple de l’essor économique chinois. Burtynsky avait préféré ne pas distribuer son film dans un environnement politisé pour permettre aux spectateurs de regarder le monde de points de vue différents et non imposés.

            Burtynsky explique que sa fascination pour les paysages fabriqués est à l’origine de la découverte d’un village minier abandonnée en Pennsylvanie qui  lui semblait être un surréalisme oublié par l’histoire, éloigné de la société et négligé par les médias. Malgré que son objectif n’est pas de critiquer l’industrialisation, plusieurs témoignages choisis tels que le commentaire en lien avec des jeunes travailleurs du Bangladesh qui sont jusqu’au cou dans le pétrole pour réparer des épaves ou encore l’interrogation sur le destin des paysans ayant été obligés à déménager lors de construction du barrage des Trois-Gorges laissent sous-entendre son opinion négatif face à ce phénomène. Ses opinions sont soulignées par le choix des images, témoignages et photos. Baichwal et Burtynsky filment des ouvriers morts de fatigue, des enfants jouant dans des montagnes de déchets ou des personnes âgées perdues dans des baraques au cœur des villes. Burtynsky argumente que la destruction de la nature est identique à la destruction d’une identité, mais souligne que les paysages fabriqués définissent une nouvelle philosophie.

            Le documentaire varie entre quatre styles différents. Il montre des extraits d’une conférence et exposition lors de laquelle Burtynsky présente les photos prises durant ses voyages. En lien direct avec cela sont des scènes qui sont filmés un peu derrière les coulisses montrant comment le photographe avait des fois des difficultés à s’entendre avec les autorités chinoises pour filmer certains endroits. Une autre partie revenant à la fin de chaque étape du film nous présente tout simplement les photos prises, des fois en mettant discrètement l’accent sur certains détails, des fois en montrant tout simplement le résultat final. En dernier, il y a le documentaire lui-même qui laisse la place à certains commentaires du photographe ainsi qu’à des témoignages.

            Le documentaire commence avec un travelling de huit minutes filmant l’intérieur d’une des entreprises chinoises gigantesques dans les provinces de Fujian et Zhejiang. En montrant le degré élevé d’identification des ouvriers avec l’entreprise allant jusqu’aux uniformes portant les mêmes couleurs que l’emblème et la mascotte de l’entreprise et en diffusant certains commentaires critiques de certains chefs de section de travail prononcés durant les pauses, le documentaire montre l’effort commun du peuple chinois de rejoindre le statut des pays industrialisés européens et américains. Lorsque des ouvriers ou responsables font pourtant des témoignages, ils préfèrent souvent ne pas dévoiler leur opinion personnelle et récitent des déclarations de l’entreprise, ce qui montre que ce mouvement est fortement centralisé et endoctriné. En ce qui concerne les paysages, la directrice nous montre à l’aide de zooms les détails d’une série de containers ou de disques durs recyclés qui ressemblent à des paysages huis clos invivables. Le documentaire présente ensuite les effets directs des usines gigantesques sur leur entourage avec des montagnes de déchets où des ouvriers font le tri d’éléments recyclables et où des enfants jouent aisément. On voit un peu plus loin un port rempli de cargaisons où se réalise la construction de navires gigantesques. Le recyclage crée des odeurs au-dessus des villes et une contamination de la nappe phréatique selon Burtynsky. Celui-ci met l’accent sur les dangers concernant le développement durable, la santé publique et la biodiversité. Il tente de créer un lien entre l’industrialisation chinoise et sa vie de tous les jours en mettant l’accent sur le fait que cinquante pourcent des ordinateurs au monde se font recycler en Chine. Il montre des extraits filmés en noir et blanc dans le passé illustrant le changement des paysages et la manière dont la population régionale s’est habituée à y vivre. Le documentaire est souligné par une musique de synthétiseurs artificielle, mécanique et discordante sous-entendant une critique et atmosphère négative.

            Ensuite, le documentaire nous montre un port à la plage de Chittagong au Bangladesh où des épaves chinoises se font démolir et recycler. Les travaux sont souvent effectués à la main par de jeunes travailleurs autour de dix-huit ans. Burtynsky met l’accent sur les conditions de travail peu sécuritaires mettant en danger la santé des jeunes. La plupart des images filmées sont en noir et blanc et soulignent la tristesse, la destruction et les dangers sur place. Le fait que les bateaux contenaient surtout du pétrole, un matériel essentiel retrouvé sous forme plus ou moins dérivée dans la vie de tous les jours dans les voitures, vitres ou appareils de photo, est souligné par Burtynsky qui fait allusion à une interdépendance grandissante dans un monde globalisé.

            Après une courte escalade à des sites pollués exploitant du pétrole et du charbon, le documentaire montre les champs de construction du barrage des Trois-Gorges étant le plus grand barrage et la plus grande centrale électrique au monde. Au barrage se trouvent des milliers de travailleurs œuvrant auprès des stocks de matériaux gigantesques dans un environnement sombre et bruyant. À part des témoignages positifs auprès des visiteurs, Burtynsky souligne que la plupart des travailleurs y ayant vécu auparavant doivent démolir leurs propres maisons et sont déménagés par le gouvernement. Les plus démunis se voient complètement séparés de leur entourage habituel.

            La dernière étape du documentaire mène Burtynsky à Shanghai, la ville avec le taux de croissance le plus rapide en Chine ce qui crée un choc des générations. D’un côté, il y a la population plus âgée dans les quartiers démunis s’accrochant au traditionalisme. De l’autre côté, il y a la génération des jeunes qui occupe de plus en plus d’espace et qui s’assimile à une vision du monde globalisée. Cet écart est montré par le témoignage d’une agente immobilière vivant dans une maison gigantesque et employant deux jardiniers ainsi que le lien cinématographiques lorsque celle-ci parle de sa cuisine ouverte pendant que Baichwal montre l’image d’un coin de cuisine d’une ruelle sale. Le documentaire se termine avec une série d’images prises dans la métropole.

            En fin de compte, le documentaire prétendument neutre et peu politisé ne laisse pas la place à une interprétation libre. Burtysnky manque ainsi d’atteindre les objectifs prononcés par lui-même. Il montre des images de paysages sombres, sales et artificiels et commente le sort des jeunes travailleurs, des sans-abris ou de la génération âgée sans pour autant commenter le sort des fonctionnaires et de la classe moyenne enrichie qui vivait souvent en une pauvreté rurale désolante en un environnement plus naturel. Il évite de parler des profits économiques accumulés et de leur gestion étatique ainsi que de la vie des prochaines générations urbaines. Une perspective ou des pistes futures par rapport à la problématique traitée manquent. Burtynsky critique et commente seulement quand il veut et son documentaire manque de cohérence et d’objectivité. Le choix des images ressemblant à des diaporamas sans fin et de la musique sombre biaise le documentaire. Un autre réalisateur aurait pu arriver à un résultat complètement différent avec les mêmes choix. Le documentaire ressemble avec ses images industrielles beaucoup à la comédie dramatique «Les temps modernes» de Charlie Chaplin et avec ses grands plans sur des cubes de déchets au film d’animation «WALL-E» de Pixar, deux films mettant en scène les effets négatifs de l’industrialisation et du système capitaliste. Au lieu de nous montrer une Chine ouverte sur le monde, le réalisateur met en vedette des fonctionnaires et ouvriers manipulés et peu sympathiques tandis que les victimes de cet essor économique se montrent modestes, émotives et authentiques. Étant conscient des problèmes qui accompagnent l’industrialisation chinoise, je suis généralement d’accord avec ceux qui critiquent le fossé entre les générations, la pollution de la planète et le réchauffement politique et l’influence rigide d’un état trop centraliste. D’un autre côté, il ne faut pas oublier que les villes européennes et nord-américaines ont été sales et surpeuplés lors de leur industrialisation, mais sont souvent engagées dans un développement durable et aménagement environnemental à nos jours. Vu que la Chine vit l’industrialisation de manière beaucoup plus accélérée, je pense que le pays s’engagera à moyen terme également dans une direction favorable à l’écologie. Tous les facteurs critiques du film ont déjà été mentionnés à de nombreuses reprises. D’un point de vue artistique, les images sont souvent impressionnantes, mais d’un point de vue documentaire, le film me semble prétentieux et défaitiste suivant la tendance ordinaire de bien de documentaires propagandistes ayant une touche environnementaliste et gauchiste.

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