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by Sebastian Kluth

15. Travail de recherche sur l'histoire du Tadjikistan (21/04/11)

 

I.                   INTRODUCTION

 

Mon travail de recherche porte sur le Tadjikistan, un pays méconnu en Asie centrale ayant éveillé mon intérêt après avoir lu par hasard un reportage sur ce pays. Ce travail est divisé en trois parties majeures: un complet historique général du pays et du Moyen Orient entier qui est nécessaire afin de comprendre la complexité des enjeux géopolitiques et problématiques ethnico-culturelles et idéologiques auxquelles le pays fait face, un volet portant un intérêt particulier au développement du Tadjikistan sous l’occupation russe et enfin une analyse détaillée de l’évolution du pays depuis son indépendance postsoviétique comportant une ouverture finale décrivant le Tadjikistan moderne.

 

L’historique général du pays traite dans un premier temps les origines de l’identité tadjike et les différentes époques d’occupation qui ont forgé le pays jusqu’à nos jours. Cette partie aborde brièvement l’histoire des pays avoisinants les plus importants du Tadjikistan en distinguant ce dernier des autres nations.

 

Ensuite suit une analyse plus détaillée de l’occupation russe et notamment de la République socialiste soviétique du Tadjikistan et son développement politique, géostratégique et économique ainsi que son importance pour Moscou. Cette partie décrit également les conditions des peuples turcophones et persanophones du pays à partir du règne de Staline.

 

 La dernière partie ayant un poids égal aux deux autres met l’accent sur l’évolution du pays suite à la fin du régime soviétique et se concentre sur les instabilités politiques au début des années 1990, la guerre civile du Tadjikistan entre 1992 et 1997 et la montée de l’islamisme dans le pays. Le personnage d’Emomalii Rahmon, officiellement président du Tadjikistan depuis 1994, joue un rôle important dans cette partie. Le travail décrit sa politique intérieure et extérieure de même que le nouveau mouvement nationaliste tadjik. Le travail se termine avec une courte analyse socioculturelle en jetant un regard sur la situation actuelle du pays en parlant notamment de l’influence islamiste, l’exode de la main-d’œuvre masculine et les conditions de vie des femmes dans ce pays souvent négligé par les études historiques, sociologiques et géopolitiques. Une estimation argumentée jugeant le futur proche du pays termine ce travail.

 

II.                SURVOL DE L’ANTIQUITÉ ET DU MOYEN ÂGE AU MOYEN ORIENT AVEC UNE CONCENTRATION SUR L’HISTOIRE TADJIKE

 

Étant peuplé depuis plusieurs millénaires avant Jésus Christ par un prototype des ethnies indo-iraniennes et iraniennes, le territoire actuel du Tadjikistan fit partie intégrante des grands empires qui se succédèrent entre le Moyen-Orient, l’Asie centrale et l’Inde comme les Empires perse, macédonien, seldjoukide et bactrien durant l’Antiquité et l’époque des grandes migrations eurasiennes. Ce n’est que sous la dynastie samanide régnant en Transoxiane et au Khorassan à l’époque du Moyen Âge et surtout au neuvième et dixième siècle après Jésus Christ suivant la conquête arabe du Moyen-Orient que la culture tadjike commença à se développer. Les dirigeants de l’Empire des Samanides s’intitulant émirs, mais dépendants formellement du califat des Abbassides, firent de leur capitale Boukhara et de la ville de Samarkand des cités florissantes et créèrent une structure étatique forte. La monnaie tadjike contemporaine en vigueur depuis octobre 2000 suite à la décision du président Rahmon de renforcer l’identité nationale tadjike, le somoni, est d’ailleurs nommée en honneur d’Ismail Samani, sous lequel l’Empire des Samanides connût sa plus grande apogée. Ce personnage a la réputation d’avoir fondé le premier État tadjik.[1] Il était un des premiers grands dirigeants issus de la région de la Transoxiane et avait unifié pratiquement tous les territoires peuplés de Tadjiks par ses conquêtes territoriales.[2] Selon les interprétations colorées des historiens proches du pouvoir actuellement en place au Tadjikistan, cette époque caractérisée comme l’âge d’or de l’histoire politico-culturelle étant symbolisée par la renaissance iranienne, un gouvernement relativement stable, une harmonie sociale basée sur une coexistence pacifique entre une conception séculière et religieuse au sein d’une population multiethnique est encore un exemple pour la quête d’une identité nationale contemporaine. L’époque sert à nos jours  en tant qu’enjeu politique pour la légitimation de l’État tadjik et de son président Rahmon.

 

Vers le début du nouveau millénaire, le Moyen Orient entier devint une poudrière caractérisée par des multiples conquêtes, des gouvernements instables et des vagues migratoires et subdivisions ethnico-culturelles complexes. L’Empire des Samanides fut écrasé par une poussée des Qarakhanides, mais leur royaume occidental tomba à son tour dans les mains des Khorezmiens d’origine seldjoukide. Leur empire fut après peu de temps violemment conquis par l’Empire turco-mongol qui se défit ensuite en quatre khanats mongols dont le khanat de Djaghataï qui occupa une grande partie de la Transoxiane. La division des quatre khanats céda à son tour à l’Empire des Timourides qui fut fondé par le guerrier turco-mongol Tamerlan qui était né près de Samarcande et avec lequel la population en place pouvait s’identifier. En même temps, la région correspondant au Kirghizistan contemporain se fit peupler dès le quinzième et jusqu’à la fin du seizième siècle par les Kirghizes qui étaient un peuple nomade turcophone d’origine mongole ayant inné les valeurs islamiques et qui était majoritairement composé de sunnites ayant déjà été en place dans la région acquise par les Kirghizes migratoires. Le peuple s’était déplacé au fur et à mesure du nord du continent asiatique à travers la Sibérie vers le sud en quête de trouver un territoire stable ce qui fut perturbé par l’émergence et les querelles entre les nombreux empires en place et l’occupation russe par la suite. Tous ces facteurs firent disperser l’unité kirghize autant que l’unité tadjike à travers le continent entier allant de l’Iran jusqu’en Chine et les deux nations partagent ainsi encore à nos jours un sort comparable.

 

Avec le début du Moyen Âge en Occident, la région du Tadjikistan contemporain tomba sous le contrôle d’une autre dynastie mongole, celle des Chaybanides qui prit le nom d’Ouzbeks en référence au prince mongol Özbeg qui devint ainsi le père fondateur de l’Ouzbékistan contemporain. Encore à nos jours, les régions ethniques tadjiks et ouzbèks se chevauchent au-delà des frontières étatiques ce qui crée d’ailleurs encore de nombreux problèmes identitaires originaires de cette époque bouleversante. La dynastie des Chaybanides fut dirigée par une multitude de khans qui régnèrent de façons distinctes tandis que la seule stabilité et le seul point en commun était l’émergence islamique qui eut une mainmise grandissante sur l’état. Elle limita l’hétérogénéité intellectuelle de la région ce qui mena à des révoltes au sein des différentes populations et même au sein des khans eux-mêmes. Le khan de Boukhara et Samarkand fut assassiné par son propre entourage ce qui mit une fin sanglante à la dynastie. Le khanat de Boukhara fut ensuite dirigé par les Djanides et devint la région la plus riche, la plus puissante et la plus peuplée des divers khanats. On peut parler d’une deuxième époque de stabilité et unité au sein du Tadjikistan. Ce ne fut pas le cas pour une bonne partie des tribus ouzbeks qui montèrent après cet assassinat et des défaites contre les Kalmouks vers le nord pour y former l’ethnie des Kazakhs, un terme qui peut se traduire par «les fugitifs».[3] Les Afsharides émergents conquirent le khanat des Djanides en 1740 et occupèrent l’ancien territoire perse au complet vers la fin du dix-huitième siècle. Mais leur fondateur, Nâdir Shâh, un stratège militaire expansionniste doué avec des idées progressistes voulant équilibrer et enfin unir les peuples sunnites et chiites, se heurta avec ses ambitions utopiques aux différentes mœurs religieuses et devint paranoïaque après un attentat raté initié par un de ses fils qui l’amena à procéder à des vastes purges jusqu’à ce qu’il ait vraiment été assassiné par ses propres généraux.[4] Sa mort entraîna des luttes pour le pouvoir interfamiliales sanglantes dont certains chahs profitèrent pour déclarer l’indépendance de leurs régions comme Ahmad Shâh Durrani qui devint ainsi le premier padishah d’Afghanistan et est à nos jours perçu comme le père de la nation afghane.[5] En même temps, les désirs d’indépendance se prononcèrent également parmi la population turkmène déchirée entre une multitude de petits empires émergents. Elle migrait constamment et assura sa survie économique au niveau du commerce des esclaves en effectuant des raids auprès des régions avoisinantes autour de l’oasis Merv où les ancêtres du peuple turkmène avaient déjà vécu depuis le deuxième millénaire avant Jésus Christ. Ce mouvement fut surtout intellectuel autour du chef spirituel et philosophe poétique Magtymguly Pyragy et autour de l’émergence et de la redécouverte d’histoires épiques nationales telles que l’épopée de Köroğlu qui furent plus valorisées par ce premier leader spirituel et ses successeurs.   

 

La plupart du territoire tadjik tomba ensuite sous le contrôle des trois khanats ouzbeks. L’émirat de Boukhara fut contrôlé par les Manghit qui étaient des descendants des Mangudaï, une unité de la cavalerie légère de l’Empire mongol ayant colonisé des terres ouzbèks. Une autre partie du territoire était occupé par le khanat de Kokand, une région économiquement florissante constituée de paysans sous le statut officiel de vassalité chinoise qui fit d’importantes conquêtes territoriales, accorda l’asile à la bourgeoisie kazakhe qui chercha à se protéger contre l’expansionnisme russe et qui organisa bientôt des forces armées respectables qui menèrent des révoltes contre la Chine et l’émirat de Boukhara, notamment sous le règne agressif de Jahangir Khoja venant du Turkestan oriental du tribu Aq Tagh parmi les Khoja qui avait crée des milices multiethniques unissant pour la première fois des soldats paysans du Turkestan, Kirghizstan et Tadjikistan. Le troisième khanat ouzbek, celui de Kiva, un ancien pôle islamique majeur de la région, était culturellement, économiquement et militairement moins important que les khanats voisins, se situa majoritairement sur le territoire ouzbek et se détériora à cause d’un bon nombre de conflits régionaux qui déstabilisèrent encore une fois le Moyen Orient entier. Celui-ci poursuivit sa quête désespérée d’une époque stable telle qu’elle avait été vécue sous l’Empire des Samanides.

 

III.             L’OCCUPATION RUSSE ET LA RÉPUBLIQUE SOCIALISTE SOVIÉTIQUE DU TADJIKISTAN

 

Après la décision du tsar Alexandre II de rassembler les territoires conquis au fur et à mesure depuis le début de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle en Asie Centrale sous le nom de Turkestan russe en 1867, le Tadjikistan ainsi que le reste de l’Asie Centrale se firent entièrement occuper étape par étape par le puissant voisin russe.[6] À partir de 1868, les Russes occupèrent la ville de Khodjent au bord du fleuve Syr-Daria dans la fertile vallée de Ferghana dans le nord du Tadjikistan étant connue en tant que l’ancienne Alexandrie Eskhate, l’Alexandrie ultime la plus reculée et fondée par Alexandre le Grand qui n’osa pas attaquer les tribus guerrières nomades vivant dans le nord de la ville. La chute du khanat de Kokand en 1873, la conquête du khanat de Bourkhara en 1876 et l’annexion des principautés du Pamir en 1895 marquèrent les étapes marquantes de l’expansionnisme russe.

 

Les raisons ayant poussé les Russes à conquérir ces terres étaient purement économiques et stratégiques. Économiquement, le prix des fibres de coton monta en flèche à cause de la Guerre de Sécession et la Russie effectua une agriculture massivement concentrée sur le coton dans les nouvelles terres conquises. Stratégiquement, la Russie voulut se protéger contre la Compagnie anglaise des Indes orientales qui avait pris une extension jugée menaçante vers le début de la deuxième moitié du dix-neuvième siècle. Plus tard, la Russie chercha également à se protéger contre la montée de l’islamisme au Moyen Orient. La Russie tsariste autant que la Russie soviétique avaient également en vue d’acquérir éventuellement un accès direct à la mer Arabique ce que le pays ne réalisa pourtant jamais car il était incapable de conquérir complètement l’Afghanistan.

 

La Russie ne rencontra que peu de rébellions, notamment dans les villes de Djizak, d’Istarawshan et de Samarkand lors de ses conquêtes territoriales. Les Russes restèrent distancés à l’égard des différentes ethnies en place et gardèrent des éléments substantiels des anciens régimes en place. Le sous-gouvernement local était de plus en plus fréquent tandis que certains émirs pouvaient garder leur autorité régionale. Les populations islamistes n’étaient pas reconnues en tant que citoyens russes et n’avaient pas les privilèges et le protectorat de la Russie tsariste, mais étaient en même temps relativement libres et épargnées des obligations telles que le service militaire russe. Les autorités tsaristes mirent en place plusieurs mesures hésitantes visant la propagation de la langue russe qui furent plus ou moins couronnées de succès à l’époque. La seule chose qui causa de véritables conflits durant cette phase d’occupation était le contrôle russe de la production et surtout de la distribution des cultures du coton. Généralement, les terres conquises par la Russie retirèrent des avantages de l’occupation tels que de nouvelles relations socioculturelles, des échanges commerciaux intensifiés, le développement de l’éducation, l’émergence des industries et la construction de chemins de fer qui amenèrent une puissante pulsion au développement socio-économique du Turkménistan russe.

 

Ce sont les Révolutions russes de 1917 qui entrainèrent la région entière dans une féroce guerre civile de six ans qui opposa les Bolcheviks révolutionnaires avec leur Armée rouge aux Armées blanches formées de tsaristes, de partisans d’une monarchie constitutionnelle, de républicains ou encore de socialistes révolutionnaires. Beaucoup de réfugiés de guerre se retirèrent au Turkménistan russe afin de s’y organiser contre les forces bolcheviques ou afin de s’enfuir dans les pays voisins tels que l’Iran, l’Afghanistan ou la Chine.

 

Le Tadjikistan fut découpé à plusieurs reprises lors de cette période sans que les puissances russes en place aient pris en compte la véritable répartition territoriale des différentes ethnies. Il devint une République autonome au sein de l’Ouzbékistan entre 1924 et 1929 et sa capitale fut placée dans le village de Douchanbé avant que la région soit devenue la République socialiste soviétique du Tadjikistan en 1929.[7] Joseph Staline n’était pas en mesure d’accorder un territoire et une organisation politique propre à chaque peuple de l’Asie Centrale et tenta donc d’assigner des frontières malaisées afin de supprimer d’avance de possibles mouvements indépendantistes. La politique centrale de Moscou oscilla entre la russification et l’encouragement de la culture nationale. L’afflux des Russes et autres Européens appartenant aux pays du bloc de l’Est provoqua la disparition de la langue tadjike comme langue d’enseignement cédant la place au russe. Ce n’est que durant les années 1970 qu’un bon nombre de philologues étudièrent les langues parlées en Iran et en Afghanistan et constatèrent que la langue tadjike n’avait non seulement échoué de se moderniser, mais qu’elle était en voie de disparition totale. Une révolution intellectuelle puisant dans la terminologie du farsi d’Iran et du dari d’Afghanistan modernisa la langue tadjike et des tensions politiques avec Moscou se firent sentir au cours de la décennie suivante qui mena à la Loi sur la langue de la RSS du Tadjikistan vers la fin de la Perestroïka.[8] Étant une des républiques les moins avantagées et importantes de l’Union soviétique, le Tadjikistan connut néanmoins un certain développement industriel basé notamment sur l’industrie légère et agro-alimentaire. La région devint connue pour la construction du barrage de Nourek entre les années soixante et les années quatre-vingt qui est encore le barrage le plus haut du monde à nos jours et qui suffit presque à la totalité des besoins de la République en électricité.[9] Ces avantages économiques n’empêchèrent néanmoins pas une montée de mécontentement de la population tadjike envers Moscou qui était proche d’anéantir complètement la culture tadjike, exploita radicalement les ressources naturelles ce qui eut des conséquences écologiques désastreuses causant des terres incultivables et des famines et devint politiquement de plus en plus instable. La politique de Glasnost et Perestroïka ouvrit la porte aux rébellions de Douchanbé en 1990 lors desquelles la république proclama sa souveraineté le 24 août 1990. Le 9 septembre 1991, le président du Parlement appelé Qadriddin Aslonov, après avoir interdit toutes les activités du Parti communiste en place, fit proclamer l’indépendance du pays avant que l’Union soviétique se soit écroulée définitivement vers la fin de la même année.

 

IV.             LES DÉFIS DU TADJIKISTAN POSTSOVIÉTIQUE

 

La joie de la nouvelle liberté ne durera pas longtemps. Seulement deux semaines après la proclamation d’indépendance, le gouvernement en place fut renversé par le conservateur Rakhmon Nabiyev, l’ancien secrétaire général du Parti communiste qui devint officiellement premier ministre le 24 novembre 1991. Mais ce retour en arrière fit éclater des combats entre les procommunistes soutenues par Moscou qui ne voulut pas entièrement perdre son rayon d’influence et les démocrates islamistes qui se radicalisèrent. Lorsque Nabiyev fit armer des milices de l’ethnie procommuniste Kouliabi, celle-ci tenta d’éradiquer les milices de l’ethnie islamiste de Pamiri et ce fut le début d’une guerre civile sanglante avec des légères tendances génocidaires. Cette guerre se déroula officiellement pendant cinq ans et un mois. Les communistes réussirent à repousser les démocrates islamistes organisés au sein du Centre de coordination des forces démocratiques ou du Parti démocratique du Tadjikistan, les nationalistes appelés Rastokhez, les séparatistes nommés Lal-i Badakshan et les islamistes des ethnies Pamiri et Gharmi organisées au sein du Parti de la renaissance islamique.[10] Des mouvements de guérilla se formèrent dans de divers exils et le Gorno-Badakhchan devint une province autonome dominée par les rebelles islamistes. Sous toutes ces pressions, Nabiyev abdiqua également et fut remplacé par Akbarsho Iskandarov, l’ancien porte-parole du soviet suprême. Après trois mois, des batailles pour la capitale Douchanbé provoquèrent l’absence définitive du gouvernement et le Tadjikistan se trouva sans présidence officielle pendant deux ans et plusieurs projets de rédaction d’une constitution échouèrent. Ce fut l’apogée sanglante de la guerre civile. Ce ne fut que lorsque les procommunistes reprirent leurs forces et qu’une intervention des Nations Unies en 1993 mit en place un cessez-le-feu fragile qu’une élection et un référendum se tinrent simultanément en novembre 1994. Ce fut Emomalii Charifovitch Rahmonov, un Kouliabi à la tête du gouvernement officieux depuis l’échec d’Iskandarov qui avait commencé sa carrière politique au sein du régime soviétique en matière d’économie et d’agriculture, qui prit le pouvoir et prôna la réconciliation nationale. À l’aide des Nations Unies, il rencontra les différentes forces rebelles à des endroits neutres tels que Moscou, Téhéran, Islamabad et enfin Almaty dans le but d’unir le pays et de créer une identité tadjike à l’image de l’Empire des Samanides. Ce n’était que grâce à l’intervention militaire continue des Nations Unies et surtout de la Russie qui craignit une poussée islamiste que le gouvernement kouliabi autour de Rahmonov fut en mesure de signer un accord de paix avec les forces rebelles le 23 décembre 1996 à Moscou qui ne fut officialisé que le 27 juin 1997. C’était la fin officielle de la guerre civile, mais plusieurs tensions et querelles eurent encore lieu et la paix sembla être peu stable. Peu à peu, les guérillas oppositionnelles décidèrent d’affronter le pouvoir en place par la voie politique au sein du gouvernement et non par la voie de la résistance armée et le terrorisme. Rahmonov gagna les élections présidentielles en 1999 et encore une fois en 2006 ce qui découragea certaines parties de l’opposition de s’impliquer politiquement et qui recoururent de nouveau à la violence sauf que ces actes eurent un moins grand impact car le gouvernement autour de Rahmonov avait profité du temps pour se stabiliser un peu plus. Malgré que l’opposition et les observateurs internationaux estiment que les élections aient pu être truquées, son règne continu amena finalement un certain niveau de stabilité politique au pays.

 

Selon certains historiens, il y a aussi un autre point de vue à considérer que les conflits purement ethnico-religieux et idéologiques lorsqu’on parle de la guerre civile tadjike. Selon Jean-Luc Racine, «les camps en présence opposent moins des ethnies telles que les Ouzbeks, Tadjiks ou Pamiris encore une fois toutes subdivisées, que des groupes tadjiks localisés ayant des intérêts concurrents.»[11] Le pays étant devenu subitement un État de l’arrière-cour négligée par la politique internationale et largement sous-développé socio-économiquement fut également bouleversé par les nombreuses déclarations d’indépendance des pays avoisinants qui se firent presque simultanément et des fortes vagues migratoires. Selon les chiffres officiels, un demi-million de Tadjiks se réfugia à l’extérieur du pays durant la guerre et l’opposition triple même ce chiffre tandis que la multitude de la main-d’œuvre appartenant à des ethnies étrangères et minoritaires vivant au Tadjikistan se dépêchèrent de quitter le pays instable au plus vite ce qui créa une crise économique avec un taux de chômage atteignant durant les périodes les plus dures plus que cinquante pourcent.

 

Les instabilités permanentes en Afghanistan n’amenèrent non seulement un mouvement islamiste plus fort dans le pays, mais également le développement d’un énorme trafic de drogues organisé par les Afghans à l’aide de paysans tadjiks appauvris n’ayant souvent pas le choix d’accepter à cultiver de l’opium afin de nourrir leurs familles. Malgré un contrôle plus sévère des frontières grâce au soutien des Nations Unies et surtout des États-Unis, la corruption fait toujours rage dans le pays appauvri et le trafic de drogues a même augmenté au cours des dernières années. En plus de cela, la géographie tadjike comportant des larges chaînes de montagnes abordant environ une frontière de 1400 kilomètres partagés avec l’Afghanistan est en faveur de la contrebande et difficile à sécuriser.[12]

 

À cause de toutes ces instabilités, beaucoup de fermiers ou travailleurs urbains tadjiks partirent principalement travailler en Russie et abandonnèrent leurs familles au Tadjikistan qui dépendaient de leurs transactions monétaires souvent irrégulières. Certains hommes profitèrent de l’occasion pour tourner complètement le dos à leur patrie et s’installèrent de manière permanente en Russie et se marièrent souvent de nouveau. Ceci créa un manque de main-d’œuvre au Tadjikistan et une émancipation forcée des femmes qui effectuèrent ainsi les travaux de leurs maris exilés. Afin de suffire aux besoins fondamentaux, les enfants de ces nouvelles veuves tadjikes ne fréquentèrent plus régulièrement l’école afin d’effectuer des tâches agricoles. Mais il y a également un danger plus écologique pour l’agriculture tadjike. Les nombreux glaciers dans les chaînes Pamir et Trans-Alaï fondent progressivement ce qui résulte d’un réchauffement de la température moyenne annuelle d’un degré et demi durant seulement une décennie. L’approvisionnement en eau potable est ainsi menacé et l’eau insalubre cause déjà des maladies telles que le typhus, l’hépatite et la diarrhée dans les campagnes qui manquent de soins sociaux et médicaux. Des inondations et précipitations provoquant des glissements de terrain constituent un autre danger considérable.

 

Tandis que le président Rahmonov souligne son désir de contrer tous ces problèmes par le renforcement de l’identité nationale tadjike en changeant son nom d’origine soviétique Emomalii Charifovitch Rahmonov en un Emomalii Rahmon plus tadjik, les adeptes du panturquisme ayant déjà mené une politique d’apartheid à l’égard de leurs congénères tadjiks dans la République de Boukhara qui fut seulement arrêtée par la révolution bolchevique nient l’existence d’une nation tadjike. Ceci est juste un exemple parmi tant d’autres que le pays est encore loin d’être uni et d’avoir résolu toutes les hostilités de la guerre civile.

 

V.                CONCLUSION

 

Pour en conclure, le Tadjikistan a toujours été une nation hautement dispersée à travers le Moyen Orient. C’est une nation qui avait été marquée par des forces impérialistes au niveau de la prospérité économique, l’émergence culturelle et la prépondérance de la religion au sein de l’état. Encore à nos jours, une grande partie du peuple tadjike et une bonne partie des villes historiques telles que Samarkand et Boukhara ne se situent pas sur le territoire tadjik et nuisent au rêve de l’identité nationale commune qui ne sera d’ailleurs probablement jamais reconnu par les minorités radicalisées. Les nombreuses ethnies différentes au sein du territoire actuel, les nombreux tadjiks exilés, une guerre civile longue et sanglante, une économie qui est une des plus faibles de l’ancienne Union soviétique et un territoire morcelé et difficile à gérer qui est également touché par des changements climatiques et problèmes écologiques profonds font du territoire tadjik et des nations avoisinantes subissant un sort comparable une poudrière comparable avec celle des Balkans en Europe durant le vingtième siècle. Il n’y a pas d’amélioration en vue car une forte poussée islamiste, un trafic de drogues de plus en plus accentué et une instabilité grandissante au Moyen Orient au sein des pays comme l’Afghanistan et l’Iraq constituent de nouvelles problématiques émergentes auxquelles la jeune république doit faire face. Le pouvoir gouvernemental est assuré par un régime jugé dictatorial par les observateurs internationaux orienté au système soviétique ainsi que par la présence des Nation Unies et particulièrement par le soutien militaire russe et par le soutien monétaire américain. Mais on ne peut pas parler d’une véritable autonomie, unité ou démocratie au sein du pays déstabilisé.

 

Le risque que la situation au Tadjikistan se détériore est omniprésent, par exemple lorsque les Nations Unies quitteront l’Afghanistan qui exerce déjà une influence négative sur son jeune pays voisin ou lorsque la Russie perdra son intérêt à protéger le Tadjikistan à cause des nombreux autres enjeux politiques du pays ou encore lorsque le président Rahmon et son gouvernement subiront un putsch ou lorsqu’il décédera tout simplement. Il y a sans aucun doute encore un chemin très long et dur à faire avant que le pays puisse finalement obtenir la stabilité, l’unité et la reconnaissance internationale qu’il désire en grandes parties.

 

 

Bibliographie

 

Ouvrages généraux

 

Auzias, Dominique, Jean-Paul Labourdette, Hervé Kerros et Patricia Chichmanov, Asie centrale : Kazakhstan, Kirghizistan, Ouzbékistan, Tadjikistan, Turkménistan, Paris, Nouvelles Éditions de l’Université, 313 pages et Nancy, Petit Futé, 2007 (réédition et actualisation en 2010), 366 pages.

 

Balbi, Adriano, Abrégé de géographie, Paris, Éditions Libraire Jules Renouard, 1833, 1361 pages.

 

Balencie, Jean-Marc et Arnaud de La Grange, Mondes rebelles : L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques, Paris, Éditions Michalon, 2001, 1677 p.

 

Bosworth, Clifford Edmund, Les dynasties musulmanes, Arles (France), Actes Sud, collection Sinbad, 1996, 334 pages.

 

Brechna, Habibo, Die Geschichte Afghanistans: das historische Umfeld Afghanistans über 1500 Jahre (en français: L’histoire de l’Afghanistan: l’entourage historique à travers 1500 ans), Zurich (Suisse), vdf Hochschulverlag AG, 2005, 448 pages.

 

Erl, Stefan, Tadschikistan 1992-1997 – Ursachen und Verlauf einer menschlichen Tragödie (en français: Tadjikistan 1992-1997 – Causes et déroulement d’une tragédie humaine), Munich et Ravensbourg, GRIN Verlag, 2007, 52 pages.

 

Gorshenina, Svetlana et Sergej Asbasin, Le Turkestan russe: une colonie comme les autres?, Éditions Complexe, Groupe Vilo, Paris, Édition de 2010, 548 pages.

 

Henrard, Guillaume, Géopolitique du Tadjikistan : Le nouveau grand jeu en Asie centrale, Paris, Éditions Ellipse, 2000, 120 pages.

 

Juneau, Thomas, Gérard Hervouet et Frédéric Laserre, Asie centrale et Caucase : une sécurité mondialisée, Saint-Nicolas, Les Presses Université Laval, 2004, 242 pages.

 

Karam, Patrick, Asie centrale, le nouveau grand jeu : l’après- 11 septembre, Paris, Éditions L’Harmattan, 2002, 322 pages.

 

Kaziev, Shapi Magomedovitch, Crash of tyrant: Nadir Shah, Makhachkala, Éditions Epoch, 2009, 416 pages.

 

Louknitski, Pavel, Le Tadjikistan soviétique, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1954, 246 pages.

 

Schär, Philipp, Daniel Wunderli et Flavio Kaufmann, Die Wahrnehmung des US-amerikanischen Einflusses in den ehemaligen Sowjetrepubliken (en français: La perception de l’influence états-unienne dans les anciennes républiques soviétiques), Munich et Ravensbourg, GRIN Verlag, 2007, 76 pages.

 

 

 

Périodiques

 

Avioutskii, Viatcheslav, La crise du Tadjikistan, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 145 à 176, 250 pages.

 

Buisson, Antoine, Ismoil 1er et la dynastie des Samanides, des mythes fondateurs, France, Le Courrier des pays de l’Est, 2008/3, no. 1067, pp. 28 à 33, nombre de pages inconnu.

 

Hohmann, Sophie, Sophie Roche et Michel Garenne, The changing sex ratios at birth during the civil war in Tajikistan: 1992-1997 (en français: Les rapports de sexe-ratio à la naissance durant la guerre civile au Tajikistan : 1992 – 1992), Bethesda, Maryland (National Institues of Health), International Journal of Biological Science, Ivyspring International Publisher, 2010, vol. 42, no. 6, pp. 773 à 786, nombre de pages inconnu.

 

Racine, Jean-Luc, Le cercle de Samarcande: géopolitique de l’Asie centrale, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 6 à 43, 250 pages.

 

Rousselot, Hélène, Tadjikistan 2006 : Le grand jeu du Président, Paris, Le Courrier des pays de l’Est (la documentation française), 2007, no. 1059, pp. 175 à 186, nombre de pages inconnu.

 

Rousselot, Hélène, Tadjikistan 2007 : Détérioration sociale malgré l’aide internationale, Paris, Le Courrier des pays de l’Est (la documentation française), 2008, no. 1065, pp. 160 à 169, nombre de pages inconnu.

 

 

 

Sites Internet

 

Affaires étrangères et Commerce international Canada, Centre d’apprentissage interculturel – Information culturelle sur le Tadjikistan, Ottawa, Canada, lien direct: http://www.intercultures.ca/cil-cai/ci-ic-fra.asp?iso=tj (consulté le 16 avril 2011).

 

 

 

Leclerc, Jaques, L’aménagement linguistique dans le monde – Tadjikistan, Trésor de la langue française au Québec à l’Université Laval, 2011, lien direct:  http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/tadjikistan.htm (consulté le 17 avril 2011).

 

 

 

Matériel audiovisuel 

 

Von Nahmen, Alexandra, Tadschikistan, Rückzugsraum für Islamisten (en français: Le Tajikistan, retraite des islamistes), Berlin, Deutsche Welle, 2010, 9 minutes et 17 secondes.

 



[1] Affaires étrangères et Commerce international Canada, Centre d’apprentissage interculturel – Information culturelle sur le Tadjikistan, Ottawa, Canada, lien direct: http://www.intercultures.ca/cil-cai/ci-ic-fra.asp?iso=tj (consulté le 16 avril 2011).

[2] Buisson, Antoine, Ismoil 1er et la dynastie des Samanides, des mythes fondateurs, France, Le Courrier des pays de l’Est, 2008/3, no. 1067, pp. 28 à 33, nombre de pages inconnu.

 

[3] Balbi, Adriano, Abrégé de géographie, Paris, Éditions Libraire Jules Renouard, 1833, 1361 pages. 

[4] Kaziev, Shapi Magomedovitch, Crash of tyrant: Nadir Shah, Makhachkala, Éditions Epoch, 2009, 416 pages.

[5] Brechna, Habibo, Die Geschichte Afghanistans: das historische Umfeld Afghanistans über 1500 Jahre (en français: L’histoire de l’Afghanistan: l’entourage historique à travers 1500 ans), Zurich (Suisse), vdf Hochschulverlag AG, 2005, 448 pages.

[6] Gorshenina, Svetlana et Sergej Asbasin, Le Turkestan russe: une colonie comme les autres?, Éditions Complexe, Groupe Vilo, Paris, Édition de 2010, 548 pages.

[7] Avioutskii, Viatcheslav, La crise du Tadjikistan, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 145 à 176, 250 pages.

[8] Leclerc, Jaques, L’aménagement linguistique dans le monde – Tadjikistan, Trésor de la langue française au Québec à l’Université Laval, 2011, lien direct:  http://www.tlfq.ulaval.ca/axl/asie/tadjikistan.htm (consulté le 17 avril 2011).

[9] Louknitski, Pavel, Le Tadjikistan soviétique, Moscou, Éditions en langues étrangères, 1954, 246 pages.

[10] Balencie, Jean-Marc et Arnaud de La Grange, Mondes rebelles : L'encyclopédie des acteurs, conflits & violences politiques, Paris, Éditions Michalon, 2001, 1677 p. 

[11] Racine, Jean-Luc, Le cercle de Samarcande: géopolitique de l’Asie centrale, France, Hérodote – revue de géographie et de géopolitique, 1997, no. 84, pp. 6 à 43, 250 pages.

[12] Von Nahmen, Alexandra, Tadschikistan, Rückzugsraum für Islamisten (en français: Le Tajikistan, retraite des islamistes), Berlin, Deutsche Welle, 2010, 9 minutes et 17 secondes

 

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