by Sebastian Kluth
Le travail ici présent traite l’émergence de la notion de «crime contre l’humanité» et l’adaptation du droit naturel qui remplace officiellement le droit positif au sein des Nations Unies suite au désastre de la Deuxième Guerre mondiale. Le travail cherche à analyser l’importance des droits de l’Homme en se traitant brièvement quelques notions importantes. Le présent travail débute avec une brève description de ce qui sont les droits naturel et positif en mettant le sens des deux termes dans un contexte socio-historique. Par la suite, le travail abordera l’ouvrage principal de Vladimir Jankélévitch dont je me suis servi pour décrire comment «l’imprescriptible» modifie ou limite la conception de la modernité politique qui prévalait pendant deux siècles avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Cette partie décrit, mais critique et analyse à la fois d’une manière plus détaillée les concepts et opinions proposés par l’auteur.
Débutons alors avec un bref descriptif du droit naturel et du droit positif. Le droit positif était en vigueur dans la plupart des États occidentaux pendant environ deux siècles avant la fin de la Deuxième Guerre mondiale. Il est constitué de l’ensemble des règles juridiques étant en vigueur dans un État. Elles sont dictées par les autorités politiques et elles se suffisent à elles-mêmes. Le droit positif est l’expression de la société autonome et de son État souverain d’un point de vue intérieurement réflexif sans prendre en compte les conseils, résolutions ou idéologies extérieures. C’est en se basant sur ce principe du droit positif que Josef Goebbels défend par exemple certains éléments qui annonçaient déjà le futur génocide des juifs au sein de l’Allemagne nazie au Palais des Nations à Genève en septembre 1933 en disant selon le livre «Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international» de Mario Bettati: «Nous faisons ce que nous voulons de nos socialistes, de nos pacifistes et de nos juifs, et nous n’avons à subir de contrôle ni de l’humanité, ni de la Société des Nations.»
Le droit naturel s’oppose à ce droit positif et est officiellement en vigueur dans tous les pays-membres des Nations Unies et réellement dans la plupart des États occidentaux, c’est-à-dire au sein des États européens et nord-américains. Le droit naturel est l’ensemble des normes prenant en considération la nature de l’homme et sa finalité dans le monde. On prime l’idée d’être humain d’abord et avant tout et être de telle ou telle nation ensuite. Ce principe est un point central de la «Déclaration universelle des droits de l’Homme» de 1948 qui est proclamée par les Nations Unies le 10 décembre de la même année.
«L’imprescriptible» est un ouvrage du philosophe français juif d’origine russe Vladimir Jankélévitch qui réunit deux textes: «Pardonner?» datant de 1971 et ensuite «Dans l’honneur et la dignité» datant de 1948 et tiré initialement de son ouvrage «Les temps modernes». Dans le travail présent, je vais surtout me référer au texte «Pardonner?» qui nous a été fourni dans le cadre du cours pour tenter de comprendre le renouveau des relations internationales et la modernité politique. Notons bien que Jankélévitch a influencé la scène politique internationale temporairement avec certains de ses ouvrages et discours en ayant plaidé en 1965 contre le pardon de la France envers l’Allemagne et a réussi à influencer le gouvernement français qui a fini par rejeter l’idée.
Avant d’aborder les textes et certaines notions plus en détail, il est intéressant de se pencher encore un peu plus sur la biographie de l’auteur en analysant également le contenu des deux ouvrages qui est selon moi très discutable et peu intellectuel. Vladimir Jankélévitch était un jeune adulte lorsqu’il s’est enfui des pogroms antisémites à Odessa dans sa jeunesse vers le début des années 1920. Il a passé une grande partie de la Deuxième Guerre mondiale à l’université de Toulouse sous plusieurs identités en sécurité à l’aide des membres de l’Église catholique et des francs-maçons. Il s’est engagé dans la Résistance avec la conviction que les nazis ne sont des hommes que par hasard. Il n’a donc jamais vécu le ghetto de Varsovie ni les camps de concentration, mais se déclare porte-parole de ceux et celles qui y ont souffert. Suite à la guerre, il ignore complètement la philosophie et musique allemande et autrichienne que son père et lui avaient étudié pendant longtemps. Il a tendance à oublier tout ce qui s’est passé en Allemagne avant le Troisième Empire et ne veut rien savoir de ce qui se passe dans le pays depuis sa fin sanglante douze ans plus tard. Il s’oppose à la réconciliation franco-allemande et au zeitgeist d’une Europe unie de l’époque de l’après-guerre.
Dans les textes «Pardonner?» et «Dans l’honneur et la dignité», Jankélévitch prime le passé et parle du traumatisme et de la spécificité du syndrome d’Auschwitz et dit qu’il ne veut pas parler de sujets d’actualités comme les crimes des Israéliens envers les Palestiniens dont tout le monde parle trop selon lui. Il parle d’ailleurs peu des attitudes antisémites en France lors de l’affaire Dreyfuss, des pogroms antisémites en Union soviétique qu’il avait lui-même vécus ou des réactions antisémites aux États-Unis suite au krach boursier. Il reste insensible à l’Apartheid en Afrique du Sud et le Ku-Klux-Klan aux États-Unis. Il ne mentionne pas les goulags russes et les camps de concentrations libérés qui se faisaient souvent transformer en de nouveaux camps de travail cruels pour des juifs et des ennemis politiques de l’Union soviétique comme à Buchenwald. Il dit que la mort des millions de morts causés par des dictateurs radicaux de l’époque comme Staline et Mao ne sont rien comparés aux crimes contre l’humanité de l’Allemagne nazie. À la page soixante-et-un, il met l’accent sur la thèse peu prévoyante que «ce qui est arrivé est unique dans l’histoire et sans doute ne se reproduira jamais, car il n’en est pas d’autres exemples depuis que le monde est monde». Il manque ainsi de jugement et de prévoyance car des génocides au Rwanda et aux Balkans ont malheureusement prouvé le contraire et cela même après le triomphe de la démocratie suite à la chute du mur de Berlin. Grâce à l’intervention des forces internationales et vu la taille plutôt limitée des régions concernées, il est certain que ces génocides n’ont pas dégénéré autant qu’au sein de l’Allemagne nazie. Les temps ont changé en ce qui concerne les relations internationales et les Nations Unies sont beaucoup plus efficaces que la précédente Société des Nations, mais le principe reste le même et l’histoire s’est répétée tout en connaissant les impacts graves que le génocide des juifs a causé.
Je suis conscient que le travail présent ne demande pas une analyse précise ni une opinion personnelle face aux ouvrages de Jankélévitch, mais les deux textes sont remplies de passages qui vont jusqu’à franchir la philosophie morale en abordant des généralisations et préjugés sur la nation allemande qui manquent d’objectivité et d’idées constructives. Ces conditions me mènent à exposer et justifier ma thèse brièvement.
À la page quarante-et-un, Jankélévitch est par exemple convaincu qu’«un crime qui fut perpétré au nom de la supériorité germanique engage la responsabilité nationale de tous les Allemands». Il démontre une attitude semblable à celle des Français suite à la Première Guerre mondiale et au traité de Versailles qui cherchait à faire payer, isoler et stigmatiser l’Allemagne ce qui a engendré une haine et frustration de base au sein du peuple allemand qui a facilité l’arrivée au pouvoir d’Adolf Hitler. Jankélévitch va même jusqu’à critiquer gravement les avocats des Allemands nazis étant accusé pour crimes de guerre et contre l’humanité et les Français qui passent déjà leurs vacances dans le pays de l’ennemi héréditaire. Il proclame à la page quarante-huit que «le pardon est un fait depuis longtemps accompli à la faveur de l’indifférence, de l’amnésie morale, de la superficialité générale». Jankélévitch est de plus convaincu que malgré ce pardon accompli, «certains verdicts scandaleux, des signes inquiétants» qu’il juge à la page cinquante comme preuves de «l’éclatante mauvaise volonté dont les Allemands… et les Autrichiens vont de plus en plus faire preuve» dans la poursuite de ceux qui ont commis des crimes contre l’humanité.
Sur une note personnelle et étant donné que j’ai grandi en Allemagne que les écoles sensibilisent davantage les jeunes générations face à l’antisémitisme. Beaucoup d’institutions de communautés religieuses étrangères en Allemagne ont une liberté spirituelle, un soutien financier et une indépendance institutionnelle énorme. Malheureusement, cela mène souvent à un abus flagrant lorsque ces institutions se basent sur le passé de l’Allemagne nazie pour mettre la pression sur les institutions gouvernementales afin de faire passer des projets menant de plus en plus à une isolation, ghettoïsation et statistiquement même une criminalisation d’un bon nombre de communautés. Les immigrants se font souvent concéder plus de droits que les Allemands eux-mêmes. Toutes les tendances extrémistes en Allemagne sont prohibées ou surveillées de près par de nombreuses institutions gouvernementales. Sur le plan international, l’Allemagne joue souvent le rôle de conciliateur au sein de l’Union Européenne et est souvent la première nation à venir à l’aide à une nation qui subit des problèmes économiques, militaires et sociaux comme la Grèce en ce moment. L’Allemagne est aujourd’hui un des pays qui appliquent davantage le droit naturel. Notons aussi qu’une véritable fierté nationale ou un sentiment de patriotisme comparable ne s’est pas encore reconstitué au sein d’une bonne partie de la société allemande contemporaine.
Dans les deux textes susmentionnés, Jankélévitch se prononce sans cesse contre l’indifférence et l’oubli ce qui est un des rares aspects positifs et objectifs à trouver parmi ses ouvrages. À la page trente-cinq, Jankélévitch souligne qu’«Auschwitz n’est pas une atrocité de guerre, mais une œuvre de haine» et dit qu’on ne pourrait jamais trop ni assez parler de ces événements cruels. Il encourage les moralistes et intellectuels de parler davantage du syndrome d’Auschwitz et critique à la page cinquante-deux que «les intellectuels et les moralistes allemands, s’il y en a, n’ont rien à dire.» sans chercher à élaborer ou même prouver cette thèse.
En ce qui concerne la notion du pardon, le philosophe français critique que les Allemands n’ont jamais demandé pardon et posé de gestes honnêtes pour leurs actes cruels lors du génocide des juifs, mais il critique de l’autre côté que les Allemands ne pourraient de toute manière jamais se faire pardonner car’«il n’y a pas de dommages-intérêts qui puissent nous dédommager pour six millions de suppliciés, il n’y a pas de réparation pour l’irréparable.» comme il décri à la page quarante.
En ce qui a trait aux crimes contre l’humanité, Jankélévitch dit que ceux-ci sont «imprescriptibles» et donc intouchables. Le crime international des Allemands est selon lui une «affaire de toutes les nations piétinées» comme il décrit à la page vingt-et-un en donnant ainsi son appui au droit naturel et les nouvelles base d’une démocratie occidentale actuelle.
Par rapport à la dignité humaine, le philosophe écrit à la page vingt-quatre que «le Juif n’est pas pour l’Allemand un simple instrument de travail, il est en outre lui-même la matière première». Notons ici encore une généralisation anti-allemande dans laquelle il ne sous-entend non seulement que tous les Allemands ont la même attitude envers les juifs, mais dans laquelle il utilise spécifiquement non le passé, mais bien le présent et ceci dans un texte publié en 1971 comme si l’État allemand n’avait fait aucun progrès positif.
En conclusion, Jankélévitch mentionne quelques points importants à la base de la refondation du système international et de la modernité politique comme les notions du pardon, des crimes contre l’humanité et la dignité humaine qui sont à la base des droits de l’Homme proclamés par les Nations Unies qui sont toujours en vigueur à nos jours. Le génocide des juifs par l’Allemagne nazie, «l’imprescriptible», a profondément transformé le monde d’un point de vue sociopolitique et suite à l’échec de la démocratie en Allemagne suite à la Première Guerre mondiale, la communauté internationale a depuis ce temps-là réussi à réintégrer, démocratiser et rétablir l’image de l’Allemagne et de maintenir pendant longtemps la paix en Europe en évitant jusqu’aujourd’hui un l’émergence d’un nouveau conflit armé mondial. D’un point de vue critique, Jankélévitch préfère pourtant de choisir des exemples et préjugés biaisés par une haine contre tout ce qu’il est allemand ce qui enlève un poids considérable à son argumentation, sa crédibilité et sa professionnalité.
Bibliographie
1.) BETATTI, Mario, Le droit d’ingérence, mutation de l’ordre international, Paris, Odile Jacob, 1996.
2.) JANKÉLÉVITCH, Vladimir, L’imprescriptible: Pardonner? / Dans l’honneur et la dignité, Paris, Éditions du Seuil, 1971.