by Sebastian Kluth
L’Hôtel du libre échange est une comédie vaudevilliste en trois actes écrite par Georges Feydeau en collaboration avec Maurice Desvallières de 1894 qui a été présentée au Petit Théâtre de l’UQAC dans le Pavillon des Arts jusqu’au treize novembre du jeudi au samedi à 20 heures et le dimanche à 14 heures. Il s’agit d’une adaptation du Théâtre Les Têtes Heureuses, fondé en 1982 à Chicoutimi qui souligne ainsi son trentième anniversaire.
Une pièce loufoque qui réussit beaucoup avec peu de détails brillants
Ce qui est des plus impressionnants de cette pièce dynamique de deux heures et quart avec un court entracte est le jeu courageux des comédiens avec des scènes de caresses entre le désir et la folie qui ne se gênent pas de se toucher et même de se déshabiller partiellement. Mais ce ne sont pas ces scènes tendues d’érotisation qui marquent le plus, mais le travail détaillé des différents caractères, l’un plus antipathique que l’autre. Mis en scène par Rodrigue Villeneuve, la pièce se concentre sur l’histoire originale intemporelle qui n’a rien perdu de son charme. La pièce n’est soutenue que par quelques décors simplistes, mais efficaces, des accessoires et costumes élégants, mais assez courants pour ne pas être trop traditionnels, quelques bouts de chansons françaises et de musique classique bien connues ainsi que quelques bruits enregistrés et enfin un jeu de lumières efficace qui délimite les champs d’action autant que l’atmosphère de la pièce d’une manière géniale. Notons que plusieurs éléments visuels et oraux signaleurs pour les différents personnages comme le bégaiement, le lâchement d’un lacet ou l’emploi d’un vilebrequin ajoutent de temps en temps une petite touche slapstick, dérivée de la commedia dell’arte à la pièce en créant des situations comiques exagérées.
L’art comment ne pas rencontrer son amant secret
L’histoire est vite racontée. Monsieur Pinglet est marié à un vrai dragon depuis vingt ans et désire la plus jeune Madame Paillardin, l’épouse de son ami et assistant. Madame Paillardin est à son tour malheureuse et trouve que son mari ne lui accorde plus beaucoup de temps, d’attention et de respect depuis les cinq ans qu’ils sont mariés. Monsieur Pinglet tente de profiter d’une dispute majeure et réussit à séduire la jeune femme naïve et belle avec son charme hectique, mais passionné. Les deux décident de se donner rendez-vous pour une nuit à l’Hôtel du libre échange, un hôtel borgne et chaotique pour être certains de ne pas être reconnus. Mais au lieu de passer une nuit romantique à l’abri de la vie bourgeoisie très encadrée, les deux amants rencontrent une panoplie de caractères qu’ils connaissent beaucoup mieux qu’ils aimeraient et ne cessent pas de mettre les pieds dans le plat durant une vraie odyssée d’événements ridicules. La nuit tourne en désastre complet et les deux infidèles risquent de tout perdre, mais toutes les cartes ne sont pas jouées lorsque quelques surprises les attendent au lendemain.
Ce genre d’histoire ne semble rien offrir de nouveau car nous connaissons tous des films et pièces de confusions vaudevilles, mais ce genre de pièce peut-être autrefois surexploité et devenu un classique rare à trouver de nos jours ayant ainsi gagné une sorte de nouvelle fraîcheur. La pièce est des plus divertissantes et les caractères sont tellement colorés grâce à un jeu d’acteurs splendide que les spectateurs embarquent dans l’histoire et veulent sans cesse savoir la suite qui offre toujours encore plus de surprises, de rires, mais aussi de tensions. Dans le rôle de Monsieur Pinglet, Christian Ouellet offre une performance énergisante qui varie bien entre le naturel et l’exagération donnant une touche excentrique à son caractère. Dans le rôle de Madame Paillardin, Mélanie Potvin incarne parfaitement la jeune femme bourgeoise gâtée, naïve et sotte sans perdre un certain charme. La chimie entre ces deux acteurs est tellement crédible et naturelle qu’on pourrait croire que les deux sont véritablement un jeune couple nerveux et passionné. Parmi une panoplie de caractères secondaires intéressants, il faut souligner le travail d’Éric Renald dans le rôle de Monsieur Mathieu, un personnage sot, exigeant et dérangeant qui emploie le bégaiement comme baromètre. Ce personnage est tellement crédible que le spectateur a la sensation de vouloir se débarrasser de ce personnage qui apparaît toujours dans les moments les plus importuns de la pièce.
Bref, il s’agit ici d’une pièce dynamique, comique et divertissante qui est joué sur le campus de l’Université du Québec à Chicoutimi pour un montant très raisonnable pour étudiants. Soulignons chaleureusement l’anniversaire du Théâtre Les Têtes Heureuses en espérant qu’ils continueront la tradition de présenter une panoplie de pièces diversifiés sur le campus. Avec leur version de «L’Hôtel du libre échange», ils ont gagné en moi un nouvel amateur de leur talent théâtral qui tentera de suivre leurs présentations futures de très près.