by Sebastian Kluth
1. Introduction
Le travail suivant porte sur «Le dialogue de Mélos», une section d’une pertinence rhétorique considérable dans l’ouvrage historique «Histoire de la guerre du Péloponnèse» de l’historien grec Thucydide qui parle du conflit athéno-spartiate se déroulant entre 431 et 404 avant Jésus-Christ. Cette guerre opposa la ligue du Péloponnèse, dirigée par Sparte, à la ligue de Délos sous l’égide des Athéniens. C’est une des premières œuvres constituant un récit historique assez fidèle qui a notamment influencé des philosophes tels que Thomas Hobbes.
Ce travail est subdivisé en trois parties principales si l’on écarte l’introduction et la conclusion. En premier lieu, il tente d’élucider le contexte général dans lequel se fait le dialogue de Mélos dont il est question. Par la suite suivra une analyse plus détaillée des deux points de vue opposés des Athéniens et des Méliens en abordant les principaux arguments de chaque camp. En dernier, le travail finira avec une description et analyse des différentes options possibles s’offrant aux Méliens suite au dialogue.
2. Le contexte général de la guerre du Péloponnèse
Concernant le contexte historique général dans lequel se situe le dialogue qui fut déjà esquissé dans mon introduction, il faut d’abord mentionner que l’auteur de l’œuvre, Thucydide, était un général athénien ayant servi durant le conflit qui avait pour projet de transmettre minutieusement et le plus objectivement possible les événements aux futures générations même si son œuvre sur la guerre restait inachevée. Le dialogue de Mélos se trouve dans le troisième sur huit livres de cette œuvre.
Historiquement, la guerre du Péloponnèse fut provoquée par de fortes tensions entre les deux ennemis héréditaires qui étaient Athènes et Sparte. Lorsque des mouvements indépendantistes dans la mer Ionienne mirent en péril l’armistice entre les deux, l’intervention militaire d’Athènes, notamment à l’aide de forces navales, fut animée par sa volonté de préserver son hégémonie, notamment sur le plan militaire et idéologique. Quant à Sparte, elle intervint par forces terrestres et fut animée par la peur d’une expansion et prédominance d’Athènes mettant en péril le fragile équilibre de la région. Le conflit devint donc inévitable et prit des allures de plus en plus barbares après la mort du stratège athénien Périclès suite à une épidémie de typhus. Véhiculée par la loi du plus fort et une position fortement comparables au réalisme, Athènes fit des exigences inacceptables lors de plusieurs dialogues ou tentatives d’armistice, non seulement envers les régions ennemies, mais aussi envers les îles neutres. Si l’adversaire n’acceptait pas entièrement les exigences d’Athènes qui étaient souvent liées à une soumission complète, elle répondit par des massacres barbares. Le dialogue avec les Méliens qui ne voulaient que préserver leur héritage et leur honneur en proposant de s’écarter du conflit et ensuite le massacre cruel dirigé par les forces athéniennes soulignent la stratégie de guerre radicale d’Athènes. Cet événement témoigne fort bien la décadence de la guerre qui devenait de plus en plus inhumaine. Ce geste mit notamment en péril la fragile paix de Nicias qui redémarra la guerre entre Athènes et Sparte après une courte période de détente et scella le destin fatal d’Athènes.
Malgré des scénarios semblables à des guerres civiles, la mégalomanie athénienne prit de nouvelles émergences et rencontra le début de sa fin avec l’échec de l’expédition de Sicile qui fut entreprise suite à la victoire sur l’île de Mélos. Athènes ne se rétablit plus jamais de cette défaite et s’isola stratégiquement tandis que Sparte réussit à se trouver de plus en plus d’alliés. Cela mena enfin à un renversement politique à Athènes avec la création d’une oligarchie provoquée par Sparte qui remporta cette guerre. Ce fut alors la fin de la Grèce glorieuse et son Âge d’Or.
3. L’analyse du dialogue de Mélos
En ce qui concerne les arguments abordés lors de ce dialogue, veuillons les aborder de manière chronologique tout en jugeant le poids respectif de chacun.
Devant les magistrats et notables méliens, les représentants athéniens cherchent à mettre l’entière cité de l’île Mélos sous sa tutelle, que ce soit sans ou avec des actes de guerre. En premier lieu, les Athéniens cherchent à discuter ouvertement du moment présent sans parler ni du passé ni d’un possible futur. Cette discussion est pourtant réellement peu ouverte car la force navale d’Athènes est aux portes de la cité et les représentants refusent un dialogue s’il ne convient pas à leurs exigences.
À leur tour, les Méliens n’ont pas le choix d’accepter ces règles imposées. Les magistrats et notables se battent pour la survie de leur peuple, leur culture et leur histoire vieille de près de sept cents ans. Afin de sauver leur pays, ils sont prêts à faire des sacrifices et partent le dialogue déjà sur une approche déséquilibrée tandis que les représentants athéniens soulignent leur dominance militaire dans des discours qui respirent fortement leur idéologie.
Les Athéniens mettent donc au clair qu’ils ne veulent point parler des conditions de la guerre, de possibles alliances et de la question autour de raison et tort. Lors de cette argumentation, une phrase clé est mentionnée de leur part: «Vous savez aussi bien que nous que, dans le monde des hommes, les arguments de droit n’ont de poids que dans la mesure où les adversaires en présence disposent de moyens de contrainte équivalents et que, si tel n’est pas le cas, les plus forts tirent tout le parti possible de leur puissance, tandis que les plus faibles n’ont qu’à s’incliner.»
Les Méliens ont une attitude plus idéaliste et en fin de compte humaine. Ils argumentent donc à leur tour qu’on ne devrait pas réduire la possibilité de faire appel au sens moral et à l’équité. Par la suite, les Méliens font exactement ce que les Athéniens ne voulaient pas qu’ils fassent. Ils parlent d’une possible victoire de leur part et de possibles conséquences pour les Athéniens.
Les Athéniens ne veulent pas parler de théories quelconques et préfèrent avoir une vue simpliste, mais très nette de la situation. Ils disent que ce ne sont pas les adversaires qui sont réellement dangereux, mais bien les peuples assujettis ou neutres qui pourraient se soulever contre les maîtres en place. Les Athéniens défendent ainsi le stratagème d’une domination totale et aimeraient voir la guerre comme un jeu d’échecs avec deux parties bien définies qui s’opposent l’une contre l’autre. Les Athéniens proposent que les Méliens se soumettent à eux pour éviter un massacre tandis que les Athéniens auraient droit à tirer des revenus de la cité de Mélos. Les Athéniens ne cherchent pas d’alliés ou d’amis pour éviter de possibles révoltes, trahisons ou concessions de tout genre. En même temps, l’acte de domination totale souligne la puissance de la cité tandis qu’un armistice pourrait mener d’autres régions sous le joug d’Athènes à songer à une révolte. Cette argumentation, aussi froide qu’elle peut paraître, se défend très bien.
Au lieu de chercher à élaborer leurs propres arguments, les représentants méliens ne font que poser des questions et cherchent à parsemer le doute parmi les représentants athéniens, mais ils se voient incapables de les convaincre. Les Méliens essaient d’offrir leur amitié et même leur soutien à Athènes et font appel à la raison en disant qu’Athènes se créera davantage d’ennemis avec une telle stratégie radicale. Même si les Méliens ont raison en ce qui concerne le long terme en sortant ici leur argument le plus fort, cela ne change rien pour le moment présent durant lequel leurs arguments sont faibles et leurs gestes de plus en plus impuissants.
La discussion tourne alors en rond. Les Athéniens s’appuient sur leur force numérique, militaire et stratégique. Les Méliens parlent de chance, d’espoir et de scénarios vagues qui pourraient mener à une victoire de leur part. Les Athéniens trouvent cette attitude bien fautive et avertissent les Méliens de ne pas faire d’erreur en s’appuyant sur ces termes émotionnels, positivistes et aveugles au lieu de se concentrer sur les faits matériels, réels et clairement définis. Les Athéniens réfutent complètement les éléments surnaturels comme l’appel aux oracles. Ils détruisent par le moyen purement rhétorique toutes les bases argumentatives des Méliens qui s’appuient toujours sur une possible intervention lacédémonienne pour leur cause, sur la bonté des dieux et sur la confiance. Ce sont tous des éléments très abstraits et idéalistes. L’impuissance mélienne et l’infériorité rhétorique, se traduisant au début par une suite de questions au lieu d’une élaboration d’arguments diversifiés, se dessine maintenant par le fait que les trois dernières interventions de leur part commencent par le mot «mais» et ne sont que des répliques désespérées pour convaincre les Athéniens d’abandonner une décision qui est depuis longtemps prise et inébranlable. Les Athéniens résument alors l’échange. Ils ont commencé puissamment le dialogue et déterminent également sa fin.
4 4. Le destin de Mélos et une courte analyse des choix s’offrant au Méliens suite au dialogue
En ce qui concerne les options possibles des Méliens, les Athéniens résument celles-ci très bien dans leur dernière intervention orale ou leur plaidoyer final.
Les Méliens peuvent se laisser influencer par la conception d’honneur en s’appuyant sur des espérances et un possible avenir pour ainsi tenter à battre les forces athéniennes plus nombreuses. Les Athéniens décrivent cette décision comme une erreur n’ayant aucun bon sens et menant à la guerre. La seule force de cette option remplie de faiblesses est donc la préservation de l’honneur.
L’autre choix, décrit comme la seule issue et l’unique décision raisonnable, serait l’inclinaison devant la puissance des cités grecques et devenant les alliés tributaires d’Athènes tout en conservant en revanche la jouissance de leur sol. Ce serait selon les Athéniens le choix de la sécurité. La seule faiblesse de cette option drastique, mais avantageuse à long terme est donc le court terme menant à une soumission partielle et humiliante.
Même si les Athéniens sont dans une position dominatrice et cherchent bien sûr à convaincre les Méliens de manière à en tirer profit, il faut dire que cette analyse est nette, réaliste et même honnête. Leurs arguments sont beaucoup plus puissants que ceux des Méliens. Il n’y a que ces deux choix qui s’offrent comme destin aux habitants de la cité de l’île de Mélos.
5. Conclusion
Les magistrats et les notables choisissent pourtant le conflit et la vision athénienne se réalise enfin avec leur victoire et la défaite mélienne accompagnée d’un bain de sang sans nom. Le deuxième choix aurait été humiliant et défaitiste, mais il aurait été le plus sage et aurait pu assurer la survie de la culture mélienne surtout lorsqu’en prend en compte qu’Athènes avait finalement perdu la guerre contre Sparte.
D’un autre côté, cette victoire athénienne n’avait non seulement rompu avec l’image d’une Athènes civilisée, juste et démocratique qui devint alors barbare, dominatrice et expansionniste, mais elle a aussi déclenché à nouveau les hostilités entre Athènes et Sparte en débutant ainsi le déclin définitif du premier qui finissait par perdre la guerre.
Les Athéniens avaient donc utilisés des moyens rhétoriques s’appliquant au court terme de leur puissance, mais ces arguments n’étaient plus valides au long terme. En fin de compte, ce conflit sur l’île de Mélos a connu deux perdants: un perdant immédiat et évident ainsi qu’un perdant à long terme.
Ce qui en reste à dire est que l’attitude grecque représente à nos jours une idéologie réaliste tandis que la façon argumentée du côté des Méliens lors du dialogue est celle de l’idéalisme. Des conflits semblables se produisent encore à nos jours et se terminent bien souvent comme dans cet exemple historique (par exemple la Seconde Guerre mondiale avec un réalisme mégalomaniaque menant à un irréalisme et à la défaite ultime du Troisième Reich, la guerre de Corée où les deux Corées pensaient pouvoir occuper le territoire complet de la péninsule lorsque leurs forces semblaient être dominantes sans prendre en considération l’intervention de belligérants extérieures ou la troisième guerre du Golfe qui fut théoriquement gagné par les puissances les plus forts menées par les Américains, mais qui a connu un bilan plutôt négatif en fin de compte).
La conclusion finale qui peut être tirée de l’exemple du dialogue de Mélos et des trois autres exemples brièvement esquissés est que ni le réalisme ni l’idéalisme ne sont garants pour la victoire d’une guerre. L’idéalisme est un concept vague qui ne prend en compte l’aspect de long terme et échoue souvent sur le court terme. Le réalisme est une idéologie gagnante au court terme, mais entraîne une défaite presque certaine au long terme lorsqu’on la poursuit de façon trop poussée.