• 12. Compte rendu critique de l'ouvrage "Shawinigan Water and Power - 1898 à 1963 - Formation et déclin d'un groupe industriel au Québec" par Claude Bellavance (10/02/11)

     

    Le compte rendu critique traite l’ouvrage « Shawinigan Water and Power – 1898-1963 – Formation et déclin d’un groupe industriel du Québec » de Claude Bellavance, présenté à l’origine comme thèse de doctorat en 1991 et publié dès 1994 par les Éditions du Boréal situées à Montréal. À part d’une analyse détaillée du sujet autour de 300 pages, l’ouvrage contient une riche bibliographie, des appendices, un index et une liste de figures, tableaux et cartes. Je me suis particulièrement intéressé au sujet de l’ouvrage car j’ai suivi un cours de géographie économique à l’université et je me suis particulièrement intéressé à ce champ d’études depuis ce temps-là. Je voulais également savoir davantage sur l’impact des nombreux bouleversements tels que les deux guerres mondiales, le krach boursier et les précurseurs de la Révolution tranquille du Québec qui est selon moi une époque charnière dans l’histoire récente de la province sur l’économie au Québec. Je vais diviser mon travail en deux grandes parties en parlant premièrement des informations de base en lien avec l’ouvrage choisi avant d’aborder un résumé détaillé. Par la suite, je vais tenter de faire une critique de l’ouvrage en évaluant les éléments positifs et négatifs et finir mon travail avec une courte conclusion.

    Il s’agit donc à l’origine d’une thèse de doctorat qui s’adresse principalement aux experts du domaine de l’histoire du Québec et particulièrement à l’histoire économique de la province. L’ouvrage est également d’un intérêt remarquable pour les spécialistes en études régionales ou ceux qui s’occupent même du développement régional d’un point de vue historique. L’ouvrage est également particulièrement intéressant pour les personnes ayant travaillé pour Shawinigan Water and Power et leurs descendants ainsi que pour tous ceux et celles qui sont impliqués ou s’intéressent pour la société d’État québécoise Hydro-Québec vu que son histoire est étroitement lié à celui de Shawinigan Water and Power.  Le but de l’auteur était de mettre l’accent sur l’économie québécoise avant l’étatisation qui est selon lui souvent laissé à l’ombre. Il voulait mieux connaître le rôle de Shawinigan Water and Power dans le secteur de l’hydroélectricité québécoise, mais en même temps aller plus loin que le nombre d’ouvrages semblables qu’il mentionne et qui l’ont inspiré en touchant aussi ce que l’on appelle l’«Empire Shawinigan », c’est-à-dire l’organisation administrative et la crise interne, les caractéristiques des différents dirigeants et l’évolution intégrale du groupe industriel en mettant l’accent sur une centaine de firmes et filiales de Shawinigan Water and Power et ses investissement spécifiques, accomplissements progressives et rendements positifs et négatifs. Après avoir parlé des enjeux de l’étude d’une grande entreprise d’électricité au Québec, l’auteur parle donc dans un premier temps de l’entreprise d’électricité avant de se concentrer sur ce que l’auteur appelle le groupe Shawinigan, un important groupe industriel multisectoriel. Afin d’atteindre ces objectifs, l’auteur s’est servi de plusieurs ouvrages historiques déjà existants, mais principalement penché sur l’étude des Archives nationales du Canada et le Centre d’archives d’Hydro-Québec.

    L’auteur divise l’histoire de l’entreprise d’électricité en trois étapes. Dans la première étape traitant l’établissement d’un territoire, l’auteur démontre la montée rapide de l’entreprise durant les deux premières décennies de son existence. Fondée en janvier 1898 par des hommes d’affaires anglophones venant de Boston et Montréal, l’entreprise s’installe dans la région de la Mauricie qu’elle développe industriellement. L’entreprise tente d’établir un marché régional autour de la première centrale hydroélectrique. La croissance de l’entreprise repose sur des ventes massives à la grande industrie et l’achat des concessions autour de la centrale en absorbant bientôt beaucoup de petites entreprises moins riches et souvent peu structurées. L’entreprise s’engage également dans un processus d’expansion spatial après avoir créé un monopole naturel en Mauricie toléré par le gouvernement. D’abord en concurrence avec la société Montreal Heat, Light and Power, Shawinigan Water and Power s’unie bientôt avec celle-ci. Les deux entreprises s’achètent les actions les une des autres et échangent même leurs administrateurs, ce que l’auteur décrit comme une vraie première dans l’histoire économique du Québec et une des raisons principales pour la montée et plus tard le déclin de l’empire.

    Dans la deuxième étape, l’auteur aborde le rôle de leader de l’entreprise à partir des années 1920 jusqu’à la première phase d’étatisation en 1944 qui donne naissance à Hydro-Québec qui devient un concurrent farouche. Durant les années 1920, l’entreprise obtient l’ensemble des chutes du haut Saint-Maurice par l’État québécois et domine le marché de l’électricité des lieux les plus importants au Québec, mais elle fait aussi face à ses premiers échecs ou complications. Un projet dans la région du Saguenay-Lac-Saint-Jean mène à des ententes complexes quadripartites et une implication au moins indirecte dans la « tragédie du Saguenay-Lac-Saint-Jean », mais se termine avec un bilan positif selon l’auteur qui permet à l’entreprise d’obtenir une quantité d’énergie supplémentaire, à empêcher la naissance de firmes productrices concurrentes et à créer des conditions comparables à celles établies partout aux abords du Saint-Laurent. Le premier grand échec se déroule selon l’auteur plutôt en lien avec les projets de Mille Iles Power et de Carillon à proximité de Montréal dans lesquels l’entreprise investit beaucoup d’argent pour voir les projets démantelés et abandonnés seulement une ou deux décennies plus tard. Vu que Montreal Heat, Light and Power n’assume pas la responsabilité des ententes préalables, un froid se crée entre les deux alliés et brise ce que l’auteur appelle le « sentiment de communauté d’intérêts ». La grande crise économique désavantage encore plus leurs relations. L’État québécois cherche à enquêter et réglementer les pratiques des entreprises d’électricité lors de la commission Lapointe qui font face à une crise de légitimité durant les années 1930. Ce n’est qu’avec le début de la Deuxième guerre mondiale que l’économie redevienne favorable à Shawinigan Water and Power, mais cette amélioration ne peut empêcher la fondation d’Hydro-Québec.

    La troisième étape à partir de 1944 et 1945 initie véritablement le déclin progressif de l’entreprise concurrencé par une société d’État mettant en question les marchés entre les grandes firmes et l’équilibre créé depuis cinq décennies. L’État québécois réserve à sa société des immenses ressources des bassins hydrographiques de la Côte-Nord et tente de limiter l’expansion du marché de Shawinigan Water and Power. Des retards et complications dans l’aménagement d’une centrale hydroélectrique à Hamilton au Labrador ainsi que la victoire d’Hydro-Québec dans l’obtention du droit d’aménagement du projet prometteur de Bersimis par l’État québécois plongent l’entreprise dans une crise. Elle devient dépendante d’Hydro-Québec et doit acheter de l’énergie supplémentaire de la société d’État pour subvenir aux besoins et demandes de sa clientèle vu qu’elle n’a pas réussi à construire de nouvelles grandes centrales hydroélectriques. Lors de la deuxième phase d’étatisation, Shawinigan Water and Power se fait finalement définitivement acheter par Hydro-Québec en 1963, une procédure fortement influencé par la vague de Révolution tranquille dans la province et les décisions du Ministre des Ressources hydrauliques et des Travaux publics et plus tard du Ministre des Richesses naturelles qui est à l’époque René Lévesque. Selon l’auteur, le bilan par rapport à une forte croissance du volume d’affaires de la compagnie d’électricité basée sur les clientèles domestique et commerciale suite à la reprise du programme d’électrification des municipalités rurales autour de 1955 reste positif et la santé au moment que l’entreprise devienne une filiale d’Hydro-Québec est excellente.

    L’auteur analyse ensuite le groupe Shawinigan en deux étapes. Il parle d’abord de la formation et de l’expansion initiale de celui-ci qui couvre la période de 1898 à 1929. Au début, la plupart des secteurs connaissent des rendements plutôt faibles ou médiocres et les filiales dépendent de l’aide ponctuelle et structurelle de la grande entreprise d’électricité. Certaines filiales connaissent pourtant aussi une bonne rentabilité, notamment des firmes dans la distribution d’électricité ainsi que des compagnies autonomes. Shawinigan Water and Power ne se concentre donc pas sur les profits capitaux et investissements directs, mais tente de bâtir un empire pour le futur.

    Lors de la deuxième phase que l’auteur décrit comme le déclin et la désintégration du groupe Shawinigan à partir de 1930 et finissant en 1963, la grande crise économique frappe de plein fouet le groupe industriel plus que la grande entreprise avec des baisses de valeur allant jusqu’à 47% dans le cas de Shawinigan Chemicals et les filiales ne se rétablissent jamais de ce traumatisme profond. L’empire décide de se concentrer quasiment uniquement sur les domaines de l’électricité et de la chimie et ce n’est que Shawinigan Engineering qui survit d’une manière plus ou moins autonome. On peut parler de financements autonomes et de réinvestissements dans des vieux projets déjà réalises sans initier assez d’innovations pour revenir au niveau relativement prospère avant la grande crise. L’entreprise principale se détache de ses filiales peu à peu et se restructure massivement. Suite à l’étatisation sous le gouvernement de Jean Lesage, seulement deux filiales, la Shawinigan Chemicals et la Shawinigan Engineering, survivent cette époque. La première devient une partie de l’empire Gulf, la deuxième est acquise par Canada Steamship Lines pour devenir enfin une filiale du groupe Lavalin.

    En ce qui concerne maintenant ma critique de l’ouvrage, il y a beaucoup de points positifs, mais aussi certains points négatifs. Le principal avantage de l’ouvrage est qu’il amène véritablement quelque chose de nouveau grâce aux détails portant sur la dualité entre Shawinigan Water and Power qui est précisée à l’aide des sources venant des archives d’Hydro-Québec et surtout grâce au deuxième volet de l’ouvrage qui porte sur le groupe Shawinigan et ses différentes filiales dont on entend peu parler dans d’autres ouvrages comparables. La consistance de l’ouvrage est énorme et cire une multitude de sources pertinentes et détaillées ce qui assure la validité et démarche professionnelle du livre. Un autre point positif est sans aucun doute l’illustration, car l’auteur cherche à visualiser avec des tableaux, cartes et photos les différentes étapes de son analyse. Ceci facilite la compréhension du texte qui est fluide, mais qui déborde de chiffres complexes, d’abréviations et termes techniques et de noms de personnages et entreprises souvent étrangers et difficiles à retenir. Au niveau de l’organisation du texte, l’auteur fait bien de séparer ses deux analyses portant à la fois sur l’entreprise hydroélectrique et aussi sur l’empire Shawinigan avec toutes ses filiales, car la lecture aurait été trop lourde et la richesse d’informations trop chaotique pour être un ouvrage structuré et professionnel.

    Pourtant, il y a aussi quelques points négatifs. Après une analyse très détaillée qui inclut pourtant très rarement des légers sauts dans le temps en ce qui a trait notamment les illustrations supplémentaires, l’ouvrage s’arrête abruptement lorsqu’on parle des dernières années de Shawinigan Water and Power. Le sujet est amené d’une manière tellement riche et intéressante que l’on aurait aimé avoir des détails sur l’étatisation de l’entreprise par rapport aux décisions politiques, le destin des travailleurs et dirigeants de l’entreprise et l’absorption stratégique de l’entreprise privée par la société d’État. Comment est-ce qu’Hydro-Québec a pu fusionner les stratégies de l’entreprise privée avec son idéologie? À quel point est-ce que l’absorption a renforcé la société d’État au niveau provincial, national et international? Une entrevue avec un ancien travailleur ou même dirigeant de Shawinigan aurait pu amener une perspective socioéconomique au sujet qui manque ici. Une autre lacune légère est le manque d’une chronologie vraiment détaillée ou d’un tableau unissant les différentes filiales avec leurs chiffres les plus importants. Il y a certains tableaux dans l’annexe qui touchent partiellement ces aspects, mais ceux-ci sont souvent très spécifiques et complexes et un schéma général y manque encore. D’un point de vue plus personnel encore, je trouve que le bilan final de l’auteur est beaucoup trop positif vu que Shawinigan Water and Power a selon moi connu un déclin extrême lors de ses dernières décennies en ce qui concerne ses ambitions d’expansion échouées, sa dépendance élevée d’Hydro-Québec et sa perte de marché et que l’on ne peut ainsi pas parler d’un bilan positif ou mitigé pour ces dernières années.

    Pour en conclure, « Shawinigan Water and Power – 1898-1963 – Formation et déclin d’un groupe industriel au Québec » est un ouvrage bien structuré, riche en informations et réussit à ajouter une particularité unique au domaine des recherches de l’histoire économique du Québec grâce à son deuxième volet qui jette un regard professionnel et détaillé derrière les coulisses d’une grande entreprise d’électricité. Celui-ci donne envie de connaître savoir encore davantage sur le destin de l’empire après sa chute et invite ainsi indirectement la communauté scientifique d’une manière dynamique d’explorer encore plus ce terrain historique à la base de cette thèse. 

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