• 33. La culture de l’humour au Québec (18/06/13)

     

    Dès ma première entrée au Québec, je me suis rendu compte que les gens avaient un humour particulier et savaient bien rire d’eux-mêmes et de leurs compatriotes. C’est en partie ça qui fait le charme de ce peuple chaleureux, même si on se pose de temps en temps la question si certaines personnes ne rient pas simplement de n’importe quoi. Mais vu que le rire est contagieux et bon pour la santé, il ne fait pas se poser trop de questions. J’ai rencontré des immigrants qui vivent depuis longtemps au Québec et qui m’ont dit: «On peut apprendre à parler comme les Québécois, s’identifier à leur culture et leurs valeurs et mener le même mode de vie qu’eux, mais certaines choses comme leur humour sont plus difficiles à adopter et demeurent mystérieuses.» Cette même personne m’a dit qu’il arrivait fréquemment qu’une personne faisait une blague et tout le monde éclatait de rire à part de lui car il ne pouvait tout simplement pas trouver ce qu’il y avait de drôle dans la phrase. En écoutant certains humoristes qui font des blagues sur des sujets discutables tels que leurs crises cardiaques, des enfants kidnappés ou la pédophilie, un étranger peut rapidement se sentir un peu mal à l’aise car le contexte du sketch demeure pour lui trop personnel ou encore un sujet à éviter. Un humoriste africain, asiatique ou européen qui ferait des blagues semblables ne ferait probablement pas une longue carrière à moins qu’il ou elle choisisse très prudemment chacun de ses mots. Cela est peut-être lié au fait que ces gens sont plus conformistes à certaines normes, préfèrent garder leurs vies privées secrètes et sont plus prudents et gardent plus de tact envers ce qu’ils ne connaissent pas. Les Québécois sont moins gênés et souvent plus directs. C’est une très grande force, mais ça peut également être une faiblesse si on en abuse. Au début, j’étais plutôt surpris par l’humour provocateur d’un bon nombre de mes amis québécois. En présence de leurs amis africains, ils riaient de leurs coutumes, de leurs cultures de leurs vies politiques. Avec les amis asiatiques, ils riaient de plusieurs sujets chauds comme le conflit sur la péninsule coréenne, les disputes territoriales entre la Chine et le Japon et le statut de Taiwan ou du Tibet. Avec leurs amis européens, on riait de la crise économique, du mariage gai et même des horreurs du nazisme. Nulle part ailleurs au monde ce genre d’humour passerait, mais après avoir été choqué au début, je me suis habitué à ce genre d’humour direct en sachant qu’il ne s’agissait pas de confrontations personnelles ou de vraies opinions.

     

    En fait, le nombre d’humoristes est incroyablement élevé pour la population plutôt restreinte de la petite province. Dans la plupart des pays européens, il y a quelques humoristes ou séries télévisées de ce genre qui sont populaires, mais je ne pense pas qu’on peut parler d’une très grande industrie de l’humour. Les Canadiens et particulièrement les Québécois ont fait de l’humour une véritable culture. Il y a des écoles spécialisées sur l’humour qui ont une renommée internationale. Il y a une large série d’articles d’humour allant des spectacles eux-mêmes à des enregistrements professionnels ou des articles tels que des casquettes, des chandails et des tasses. Qui ne se souvient pas des jus, porte-clés, sac-à-dos, tapis de souris et sous-verres des Têtes-à-Claques par exemple. En plus, le plus grand festival d’humour au monde qui s’appelle «Juste pour Rire» se déroule à chaque année pendant plusieurs semaines à Montréal. L’éducation à la nord-américaine permet même aux humoristes de chanter, de se déguiser de façons diversifiées, de jouer de la musique et certains humoristes jouent même fréquemment dans des séries télévisées ainsi que dans des films à succès qui sortent au cinéma. En y pensant, il y a très peu de films populaires québécois où il n’y a pas au moins un humoriste dans la liste des acteurs. Pensez aux succès des dernières années tels que «Bon Cop, Bad Cop», «De père en flic», «Le sens de l’humour» et plus. N’oublions pas non plus plusieurs groupes de musique qui ont des paroles plutôt humoristiques et qui sont en train de se faire un nom à l’internationale comme «Les Trois Accords».

     

    En Europe, il y a déjà bien peu de gens louent des films au lieu de les acheter pour les écouter à la maison et encore moins choisissent des spectacles d’humour qu’ils vont regarder en famille devant la télévision un vendredi ou samedi soir ce qui est assez fréquent au Québec. À force de connaître trop de gens qui regardent trop de spectacles d’humour et à force de voir ces vedettes dans les journaux, à la télévision et même au cinéma, certains étrangers peuvent s’ennuyer rapidement de ce genre de divertissement, mais cela ne semble pas être le cas pour la plupart des Québécois. Ce que les acteurs, les chanteurs, la noblesse et les politiciens sont en Europe, ce sont principalement les humoristes et les vedettes des téléréalités au Québec. Je connais plusieurs Québécois qui pourraient me nommer plusieurs douzaines d’humoristes, mais je n’ai jamais rencontré personne ailleurs qui serait en mesure de nommer autant d’humoristes de son pays. Il y a tellement d’humoristes au Québec que plusieurs d’entre eux se sont maintenant installés en France pour y poursuivre leurs carrières et pour se présenter sur un autre marché. Le concept semble fonctionner car beaucoup d’Européens sont intrigués par cet humour particulier. Bien évidemment, il ne faut pas généraliser car il y a des styles d’humour très différents au sein de la grande scène d’humour québécoise, mais ce qui les unit est leur façon directe et presque provocatrice de rire d’eux-mêmes et tout ce qui les entoure.

     

    En plus de cela, une certaine forme de nostalgie se mêle avec la culture de l’humour. Il y a encore des adaptations récentes et suites de certaines séries qui étaient déjà populaires il y a bien longtemps comme «Dans une galaxie près de chez vous», «La Petite Vie» et «Les Boys». En Europe, certains films humoristiques qui étaient des phénomènes bien populaires il y a vingt ans sont aujourd’hui plus ou moins oubliés par les jeunes générations tandis qu’au Québec toute la famille semble regarder et apprécier une même série. En Europe, on n’ose pas trop toucher aux vieux concepts, aux classiques ou aux films à succès étrangers que l’on pourrait refaire, mais cette prudence ne semble pas exister en Amérique du Nord.

     

    Récemment, je suis allé voir mon premier spectacle d’humour réel après avoir écouté et regardé bien des émissions sur DVD, à la radio ou à la télévision. Ce spectacle d’humour se déroulait le 16 mai 2013 dans le bar «L’Éclipse» à l’Hôtel Le Montagnais en proximité de l’Université du Québec à Chicoutimi. Il s’agissait d’un spectacle plutôt intime avec seulement deux cents billets qui mettait en vedette l’humoriste Mike Ward et en première partie l’humoriste régional Simon Delisle. Je n’avais jamais entendu parler de cet humoriste de Chicoutimi qui avait fréquenté le Séminaire de Chicoutimi ainsi que le Cégep de Jonquière, mais sa prestation d’environ trente minutes m’a beaucoup plu. Comme bien des humoristes québécois, il avait le don de rire de lui-même en ce qui concerne son apparence et son vécu privé et professionnel. C’est par son attitude chaleureuse, naturelle et proche du public qu’il a rapidement pu convaincre les plus sceptiques en un rien de temps. Après une courte pause, c’était le tour de Mike Ward qui s’était installé de façon décontractée sur une chaise sur la petite scène illuminé en prenant quelques gorgées de bière. Par la suite, il offrait à la petite foule dynamique un mélange d’anciens numéros bien aimés et de quelques nouveaux sketchs pendant environ soixante-quinze minutes. Durant sa prestation, Mike Ward a utilisé une technique que bien des humoristes québécois utilisent. Il s’est cherché des alliés dans son public en intervenant directement avec quelques spectateurs tout au long se son spectacle. Ces gens ont plus ou moins réagi à ces tentatives, mais dans l’ensemble, cette technique lui avait permis de créer une ambiance intime et fertile à son humour provocateur. À cela, Mike Ward a ajouté un bon dosage de blagues concernant d’abord lui-même et son vécu privé et professionnel et de blagues sur plusieurs personnages connus de la scène humoristique québécoise. Bien évidemment, il fallait connaître ces gens dont il parlait pour comprendre toutes les blagues ce qui aurait été plus difficile pour un étranger. Mais bien souvent, le contenu des blagues était assez général pour faire rire n’importe qui et le spectacle avait passé beaucoup trop rapidement. À la fin de la soirée, on pouvait voir bien des sourires sur les visages des gens et même ceux et celles qui n’avaient pas connu cet humoriste avant sont maintenant devenus des petits amateurs de son style. Tant qu’à moi, j’ai adoré ma première expérience directe avec un humoriste québécois et j’ai rarement ri autant dans ma vie. Malgré le fait que je n’adore pas beaucoup d’humoristes québécois et que les prix des billets me semblaient un peu chers avec trente dollars canadiens, je compte bien assister à des spectacles d’autres de mes humoristes préférés et je serais également prêt à revoir Mike Ward et aussi Simon Delisle en spectacle d’ici quelques années.

     

    À tous ceux et celles, qui sont au Québec depuis peu de temps, je vous conseille fortement d’ouvrir vos horizons et de découvrir la scène humoristique absolument unique de cette province. L’humour joue un rôle non négligeable dans la culture unique de cette province. Parmi ces Rachid Badouri, Réal Béland, Lise Dion, Jean-René Dufort, Cathy Gauthier, Patrick Groulx, Louis-José Houde, Patrick Huard, Mario Jean, Marc Labrèche, Peter MacLeod, Martin Matte, Jean-François Mercier, Laurent Paquin, Jean-Marc Parent, André Sauvé, Guillaume Wagner et j’en passe, il y a sûrement au moins un humoriste qui devrait vous plaire. Cela est sans parler des nombreux groupes d’humoristes comme «Les Grandes Gueules», «Les justiciers masqués» et «Rock et Belles Oreilles» ou des ligues d’improvisation qui se déroulent même directement à l’UQAC. Si vous viviez au Québec sans regarder au moins un spectacle d’humour à la télévision ou en direct, vous manqueriez certainement une composante culturelle importante.

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